Sur Le Lac Festival | Une belle découverte saint-galloise

0
4537
Sur Le Lac, le 12 août 2017, Samuel Schalch / Tous droits réservés

Il fallait se lever de bonne heure, le samedi 12 août, pour assister aux concerts d’ouverture de la deuxième journée du festival Sur Le Lac. Un périple, que dis-je, une véritable aventure depuis Vevey jusqu’à Eggersriet. Une dizaine de minutes en bus suffisait à atteindre le petit village. Le festival, dont on peut saluer l’organisation, proposait des navettes entre Eggersriet et le lieu de l’événement. En arrivant, on est émerveillé par l’agencement des caisses. Elles se trouvent, en effet, dans une jolie ferme. Une petite construction en bois était placée en face de la caisse pour indiquer les heures des navettes. Un beau chemin en copeaux menait les spectacteurs de l’entrée jusqu’au centre du festival. Un soin particulier à la décoration des stands et de manière générale, à l’agencement de l’espace, est apporté. Un long voyage donc qui devait trouver son achèvement dans les sonorités qui émanaient du site du festival.

Et le commencement fut de brumes et de sons…

Le public s’amoncelait très gentiment lors des premiers concerts qui mettait en avant deux groupes suisses, Dachs et All XS. Le concert de Dachs, les blaireaux en français, m’a surpris en bien, à la croisée entre pop électro et dream-pop. Des blagues en suisse-allemand sont venus saupoudrés leur concert de pop planante. On ne pourra malheureusement traduire le contenu de ces dernières. On soulignera également que leurs paroles sont presque toutes dans cette langue. Un bienfait dans un monde musical dominé exclusivement par l’anglais. Le public a été surpris par un homme, sorti de l’abysse du lac de Constance, qui errait sur la scène derrière le groupe. Un long drap blanc à la main était placé devant lui. Il s’agissait, a priori, d’un performeur qui scrutait le site du festival à la recherche de photographies à réaliser. Pour ce faire, il se mettait derrière les personnes choisies avec son drap. J’ai été d’ailleurs capturé par surprise par son appareil photographique. All XS  était le deuxième concert de cette journée. Les frères Stettler, Niklas et Moritz, qui font partis d’All XS, se sont beaucoup éloignés du son caractéristique de leur précédente formation, Labrador City. Un changement qui n’est pas forcément pour nous déplaire, même si la dream-pop naïve de ce dernier groupe, actuellement en pause, va nous manquer. Néanmoins, les cinq membres d’All XS, vêtus de rouge, assure un savant mélange d’électro, de r’n’b et de house. Il y a quelques réminiscences de Labrador City notamment pour l’aspect mélodieux des chansons. Des drapeaux, sur lesquels sont écrits Mad Factory sont disposés sur la scène. Le public danse et sourit. Le clou du concert était probablement la reprise de la chanson Daa Nyinaa de l’artiste Ata Kak. Il faut dire que cette chanson se marie bien avec l’univers musical d’All XS. Enfin, il est important de souligner que deux des membres féminins du groupe bernois représente les seules femmes musiciennes  de tout le festival, avec la musicienne qui accompagne le groupe Mount Kimbie durant leur tournée.

Des mélodies qui s’effilochent et se développent

Il y a une grande scène sur le site du festival. Ce dernier est organisé de manière à ce que, entre chaque concert, il y ait une pause d’une heure. Dans ce sens, le spectateur n’a pas à tergiverser sur les groupes à voir. Entre les pauses, le public a le choix de s’occuper : se ravitailler, se promener sur la colline, discuter avec des amis. Par rapport à d’autres festivals, la grande particularité de Sur Le Lac est d’avoir une magnifique vue sur le lac de Constance. La pause finie, Ulrika Spacek s’avance sur la scène. Full of Men, Silvertonic, Mimi Pretend sont probablement les chansons qui m’ont le plus marqués durant leur concert. Leur musique, qui est nourrie de krautrock et de rock psychédélique, est absolument géniale. Le concert maîtrisé du groupe fait ressortir les mélodies dissonantes et le rythme soutenu de la batterie. Même si leur dernier album est excellent, le chanteur était très froid, peu communicatif et réservé. On a eu l’impression qu’il faisait le strict minimum lorsqu’il communiquait avec le public. Néanmoins, cela n’a pas entâché la performance musicale du groupe. D’autre part, il est assez troublant que la voix du chanteur du groupe, Rhys Edwards, ressemble à si méprendre à celle de Thom Yorke de Radiohead. C’est également sa manière de chanter, d’une voix traînarde, qui entretient la confusion. Suite à un petit intermède, ce seront les néerlandais de Klyne qui continueront à animer le public du festival Sur Le Lac. A l’inverse de Rhys Edwards, le chanteur de Klyne est très chaleureux et amical avec le public. Les sonorités électro absolument géniales du groupe accompagne parfaitement la belle voix soul du chanteur Nick Klein et les rythmes effrénés du batteur. La formation néerlandaise n’a sorti qu’un album éponyme. Le public a beaucoup apprécié la performance et a même insisté pour qu’il y ait un rappel. Leur concert était à la fois maîtrisé et chaleureux. Malheureusement, le chanteur nous a expliqué, un peu gêné, qu’ils n’avaient plus de chansons à jouer. Durant l’intermède entre les deux concerts d’Ulrika Spacek et de Klyne, un concert s’est déroulé en haut de la grange qui sert de lieu pour les caisses. Une vraie suprise de découvrir qu’un homme avait pris sa guitaire pour nous jouer majoritairement des reprises de folk, notamment de Johnny Cash.

Une fin (presque) en apothéose

S’il y avait un concert que l’on devait conseiller pour la prestance scénique des artistes, ce serait sans hésiter Young Fathers. Il fallait les voir. Les trois rappeurs-chanteurs Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et « G » Hastings accompagné du batteur, présent sur les tournées, se sont déchainés sur la grande scène du festival. Les trois membres principaux du groupe étaient au chant et rappaient à l’unisson ou individuellement. La performance de Kayus Bankole, à elle toute seule, suffisait à mettre l’ambiance durant ce concert. Occupant une grande place sur la scène, se déplaçant vers le public, chantant à en cracher ses amygdales, laissant tomber sa chemise rouge, l’homme fait tout, est partout. Saissisant. Incroyable. Magnifique. « G » Hastings se charge plutôt de gérer les beats électroniques. Ce dernier ainsi qu’Alloysious Massaquoi sont restés plus sobres. Le batteur, Steven Morrison, tapait d’une allure martiale et assurée sur une tom basse à la taille surdimensionnée. Il avait la face de Dieu, les mains du diable. La prestance sur scène de Young Fathers magnifient leurs chansons qui sont à la fois maîtrisés et mélodieuses, comme Get Up ou Shame. Si le second album des écossais est sorti il y a deux ans déjà, on attend leur prochain album avec impatience. Dans un style assez différent, Mount Kimbie a offert un concert intimiste mais mémorable. Ils présentaient leur dernier album, Love What Survives, qui sortira le 8 septembre prochain. Certains morceaux de cet album ont été joués comme Blue Train Lines, Marylin ou encore We Go Home Together. Des chansons plus anciennes, tirées du second album Cold Spring Fault Less Youth, nous ont également émus. On pense notamment aux très mélancoliques Home Recording ou Break Well qui mélangent parfaitement ambient et mélodies pop. Made To Stray est plus traversé par la postdubstep. Les membres de Mount Kimbie, Kai Campos et Dominic Maker, sont à l’aise à la fois derrière les machines électroniques qu’à la guitare. Seule ce dernier chante parfois en remplacement des artistes invités sur leur album. On pense notamment à leur ami King Krule. Malheureusement, sur scène, l’artiste anglais était absent tout comme James Blake et Micachu qui ont collaborés à Love What Survives. A la place, deux membres de la tournée, l’un à la batterie, l’autre au chant et au synthé, accompagnent sur scène le duo anglais. La performance de Jeans For Jesus devait clore le festival Sur Le Lac dans un final explosif. Si les quatre précédents concerts étaient tout bonnement excellents, quoique dans des genres musicaux relativement différents, on ne peut pas tout à fait dire la même chose des cinq musiciens originaires de Berne. J’avoue avoir eu des doutes en écoutant les morceaux pour préparer l’annonce de la programmation du festival. Leur concert a malheureusement confirmé mes peurs. J’ai assisté seulement à une partie de celui-ci. Si on a apprécié la scénographie du concert où la plupart des musiciens sont séparés par de rideaux noirs, si on a trouvé le côté un peu décalé des chansons plaisant, on n’a pas du tout accroché à la performance de Jeans for Jesus. Musique patch-work, samples criards et de mauvais goût, reprise de certains morceaux célèbres (notamment Lemonade de Beyoncé), difficile d’être séduit par cet amas de sons informe et peu digérable. On n’a encore plus étonné de la présence de Niklas Stettler, membre de Labrador City et d’All XS, qui a réussi à nous convaincre avec ces projets artistiques. Plus incompréhensible est la programmation de ce groupe dans un festival de la scène indépendante, alors que leurs chansons sont plus à rapprocher de la musique mainstream. On ne partage pas non plus l’engouement du public suisse-allemand pour le groupe bernois, qui semblait ravi de leur performance. Même si à certains moments, on s’est laissé emporter par la musique, on n’en a profité pour partir avant la fin du concert, sans remords.

Un festival à ne pas manquer l’année prochaine 

Le festival Sur Le Lac est un festival à compter parmi les meilleurs de la scène musicale indépendante suisse. Sa situation exceptionnelle avec une vue magnifique sur le lac de Constance ne peut laisser personne indifférent. Le public, majoritairement suisse-allemand, y est très chaleureux. A plusieurs reprises, j’ai été abordé de manière sympathique et amicale par des suisse-allemand.e.s, ce qui est agréable. Sa programmation est tout bonnement excellente. On recommande chaudement le festival Sur Le Lac à tout amateur de musique indé. On ne manquera pour rien au monde l’édition 2018.

                                                                                                        Janett Donis