Interview – Philippe Falardeau

De passage à Locarno, Philippe Falardeau nous a accordé un peu de son temps.

1
3219
Philippe Falardeau - Image droits réservés - (Photo by Jeff Vespa/WireImage)

Nominé aux Oscars pour son film Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau était présent à Locarno pour présenter sa nouvelle oeuvre Guibord s’en va-t-en guerre. C’était l’occasion rêvée de converser avec le chaleureux et talentueux réalisateur canadien pour évoquer son film et ses projets futurs.



Propos recueillis par Sven Papaux

Critique du film : Guibord s’en va-t-en guerre

PF : Philippe Falardeau
SP : Sven Papaux

SPBonjour Monsieur Falardeau, je vais essayer d’être original, promis!



PF – Oh non, c’est pas nécessaire. C’est à moi de l’être!

SPAlors, ces faits que vous citez au départ du film ne devraient pas tarder…?

PF – (Rire) Presque! Le premier ministre a demandé à voter sur l’envoi des troupes au mois de novembre, après la fin du tournage. Il y a une partie de ça qui s’est réalisée. L’autre partie qui n’a pas été encore réalisée, c’est cette balance du pouvoir dans les mains s’un seul député. Mais ce n’est pas impossible, c’est même tout à fait possible. Nous avons un pays démocratique, mais cette idée que la démocratie puisse être pervertie semble tout à fait plausible. La réalité dépasse la fiction…

SPAvec votre film, on sent le côté très caricatural mais tout en étant très subtil. Qu’en dites-vous?

PF – D’abord, il y a beaucoup de références dans le film. Il y a un ton qui n’est pas subtil, c’est celui de la comédie. Il y a des références qui sont là pour le public canadien qui ne seront pas nécessairement digestibles pour un public européen, parce qu’il ne connait pas le quotidien d’un personnage politique au Canada. J’ai voulu mettre en avant l’aspect familial. Les conflits politiques familiaux dans le milieu familial, explorer les relations de famille, les relations amicales. 

Si on décortique, au-delà des blagues, il y a une vraie réflexion sur la démocratie représentative et sur l’écart entre la pureté des philosophes des Lumières – il cite: Montesquieu, Rousseau, Locke – et l’actualisation de la politique, en proie au lobby et à l’argent. Je défendrais le film, comme un film sérieux dans le fond.

« Je défendrais le film, comme un film sérieux dans le fond. »

SPC’est sûr! Il faut quand même avoir 2-3 notions politiques.

PF – Oui, il faut que je m’adresse à un large public. Si un journaliste politique souhaite voir le film et discuter avec moi, il va se rendre compte que je vais pouvoir aller très loin dans la discussion et que je pourrai lui pointer plusieurs aspects très intéressants. Pour quelqu’un qui s’y attarde, les références sont là. Mais attention, je veux avant tout réaliser un film divertissant et, disons-le, grand public.

SPJe vous connais à travers Monsieur Lazhar, The Good Lie. Par contre, j’ai lu que vous avez étudié sept ans de sciences politiques et de relations internationales. On sent à travers vos études que vous émettez un avis neutre, mais plutôt négatif sur la politique canadienne. Qu’en est-il?

PF – Lucide, pessimiste. Si on s’imagine que les enjeux majeurs vont être réglés à travers la politique, on se trompe. Il y a eu un déracinement du pouvoir et le pouvoir est dans sa tour d’ivoire. Il y a une classe de politiciens qui est entre la population et le pouvoir, qui elle (la classe de politiciens) se retrouve un peu prisonnière. Là-dessus, je suis assez critique. Je suis plus optimiste de proposer une vision humaniste qui dirait que la solution est dans la rencontre de l’individu. Si on prend le film, la rencontre du député Guibord, un ex-joueur de hockey et qui n’a pas lu Jean-Jacques Rousseau, et d’un jeune haïtien naïf mais bien intentionné n’est pas impossible. Ce que je veux dire par là, c’est que la solution est peut-être à travers les relations.

« Si on s’imagine que les enjeux majeurs vont être réglés à travers la politique, on se trompe. »

SPVous admirez Jean-Jacques Rousseau ?

PF – Admirer, c’est un grand mot. Mais la première fois que je l’ai lu, j’ai été très impressionné. Je me souviens d’une des phrases d’introduction du « Contrat Social » qui dit : « né citoyen d’un Etat libre et membre du souverain, le seul droit d’y voter m’oblige le devoir de m’en instruire. » (la phrase complète est : « Né citoyen d’un État libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire. »)

Oui, nous sommes des citoyens, nous avons des droits. C’est pourquoi nous avons la responsabilité de suivre ce qui se passe en politique. Cela m’avait beaucoup influencé, alors que Rousseau l’avait écrit il y a plusieurs siècles. Maintenant est-ce que Rousseau avait raison sur tout, pas du tout! Mais il avait une réflexion sur l’idée du bien commun et de la volonté générale que l’on a complètement perdue.

SPAu Canada, la politique ne fait plus l’unanimité. Est-ce un avis que vous partagez?

PF – Il y a beaucoup de cynisme, surtout depuis huit ans, les partis au pouvoir se sont éloignés et refusent de répondre aux questions des journalistes, ils agissent parfois comme un régime totalitaire et doivent faire face aux électeurs à des dates fixes. Il y a eu beaucoup de scandales liés à la corruption, ce qui a pour conséquence que les gens s’imaginent que les politiciens nous volent nos taxes et se remplissent les poches. Je sais très bien que ça ne fonctionne pas ainsi, il y a certainement un désabusement qui a provoqué beaucoup de cynisme de la part de la population canadienne.

« Il y a certainement un désabusement qui a provoqué beaucoup de cynisme de la part de la population canadienne. »

SPDans vos films, il y a toujours cette petite touche « africaine ». C’est un clin d’oeil, un amour que vous portez pour ce continent?

PF – (Rire) C’est la curiosité! J’aime bien amener un élément étranger dans une histoire très « locale » et d’observer qui nous sommes à travers le regard de quelqu’un d’autre. Un regard sous un autre angle.

SPUne sorte d’échange culturel?

PF – Je connais ma société, mais si j’invite quelqu’un d’autre, il va m’aider à la redécouvrir. Je suis intéressé par l’optique que mes films voyagent, donc en ayant des composants différents, ça permet au film de trouver une ouverture culturelle.

SPPouvez-vous nous parler de vos projets futurs?

PF – Alors, je prépare un film pour cet automne. C’est un film qui va se passer aux Etats-Unis, mais je ne peux pas encore en parler. Les financements sont la cause, mais si tout se passe bien, je commence à tourner en octobre.

SPMême pas un petit nom…

PF – Pas encore. Vous me « googlerez » dans huit semaines.

On a attendu les huit semaines et le prochain film de Philippe Falardeau se nomme: The Bleeder. Le film, doté d’un modeste budget, contera la vie de Chuck Wepner. Un boxeur rendu célèbre pour avoir tenu 15 rounds face à Muhammad Ali. Côté casting, Liev Schreiber et Naomi Watts seront à l’affiche.

Philippe Falardeau - Image droits réservés
Philippe Falardeau – Image droits réservés