Antigel | Virginie Despentes + Zëro

Oratrice du ‘Requiem des innocents’ de Louis Calaferte, Virginie Despentes nous a offert une lecture musicale des plus hypnotiques vendredi soir.

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Photo: Frederic Lemaître

La salle centrale de la Madeleine est comble. Tout de noir vêtue, Virginie Despentes s’avance, presque intimidée, vers le devant de la scène sous les applaudissements du public. Les premières notes de tambour retentissent. Elle s’approche du micro. Sur sa droite, un recueil de feuilles installé sur un étendoir. Elle commence.

‘Payer sa dette littéraire’ : voilà comment Virginie Despentes explique son choix de conter oralement le premier livre de Louis Calaferte, le ‘Requiem des innocents’. Evoquant la noirceur et la brutalité de la vie, ce récit datant de 1952 explicite l’histoire d’une enfance de misère, difficile et violente. Virginie Despentes dit avoir été marquée dans la chair par ce livre. Dès l’élocution des premières syllabes, on sent qu’elle cherche à nous plonger dans ce monde des plus sombres.

Accompagnée par le groupe rock français Zëro, Virginie Despentes offre une deuxième vie au texte original. On nous promettait une lecture musicale: j’ai plutôt perçu cette prestation comme une véritable mise en scène artistique, jouissant d’une rage et d’une dureté parfaitement échelonnées. Virginie Despentes ne se limite pas à réciter le texte de Calaferte. L’adaptation scénique de cette œuvre offre une ferveur renouvelée à chacun des mots. Le timbre de sa voix, lourd et brut mais si subtil à la fois, vous emporte et vous marque. Les premières phrases paraissent brutales, amères, presque comme lacérées. Au début, on se concentre afin de capter leur sens ; puis l’oreille y prend goût.

Virginie Despentes et Zëro

Note par note, Virginie Despentes ne lésine pas sur la force et l’ardeur de chaque syllabe. Il faut le reconnaitre, son élocution est magistrale, puissante. Sa voix remplit la salle à elle toute seule. Elle n’hausse pas le ton mais grâce à sa diction intacte elle nous emmène où elle souhaite. Au fur et à mesure de l’avancée des extraits, l’accompagnement musical devient des plus enivrants, installant une tension permanente et résonnant à la fois de manière juste et fausse avec les mots. Bruts et durs, le texte et la musique se cherchent l’un et l’autre, tout en se faisant écho.

Dans notre contexte où le féminisme est au centre de l’actualité, on résonne avec les écrits de Virgine Despentes. Depuis ‘Baise-Moi’ en 1994 , elle s’est affirmée comme une des écrivaines les plus importantes de notre ère avec notamment ‘Les Jolies Choses’, ‘Apocalypse bébé’ ou encore ‘King Kong Théorie’. L’idée de l’entendre en live est une idée particulièrement réjouissante pour tous les adeptes de ses écrits. Néanmoins, au-delà de l’expérience sensorielle que permet cette mise en scène, suivre la rapidité de sa diction, sans connaitre l’histoire initiale du ‘Requiem des innocents’, peut s’avérer difficile.

Comme dans ses livres, Virginie Despentes nous donne une partie d’elle-même sur scène. Malgré la difficulté à cerner son personnage, la performance de Virginie Despentes n’étonne pas ; on lui reconnait ce même univers vivace, écorché ainsi que son regard cynique, presque amusé, sur la société qui l’entoure. Virginie Despentes, dans toutes ses projets artistiques, est ‘à vif’.