Une jeune fille rencontre un policier énigmatique sur Internet. Ensemble, ils décident de mettre fin à leurs jours. La rencontre de ses deux âmes est au coeur du long métrage Another Way. Par des images d’un poétisme poignant, Cho Chang-ho aborde le difficile sujet du suicide en Corée du Sud. Son troisième film reflète une réalité plus qu’actuelle dans son pays d’origine, de manière intime et personnelle. Les excès d’une société de consommation plongent ces personnages dans une mélancolie qui crée le lyrisme du film, esthétiquement très travaillé.
Another Way a été présenté au mois de janvier au festival international de films indépendants Black Movie à Genève où le Billet a rencontré Cho Chang-ho personnage attachant et (malgré tout) plein d’humour.
Propos recueillis par Sarah Imsand
Selon L’OCDE la Corée du Sud a le taux le plus élevé de suicide. Est-ce que le film est une réponse à ce problème?
Tout d’abord, je trouve tragique qu’il y ait des suicides. Pas seulement en Corée, mais dans le monde entier et je trouve personnellement encore plus triste que le taux soit élevé dans mon pays. Ce n’est pas pour cette raison que j’ai fait le film. Maintenant qu’il est sorti et qu’on a commencé à en parler, j’espère qu’il pourra répondre à ce problème là. Je pense que c’est une bonne chose que le film montre une société qui exprime son malheur, tout comme je ne crois pas qu’il puisse la changer.
Il y a une surabondance de technologie, d’écrans, de téléphones, de télévisions dans le film. Parallèlement, une forme de lassitude et d’ennui apparaît à travers les personnages. Pourquoi cette composition?
Le rôle d’internet dans notre société n’est pas issu de mon imagination mais c’est un fait. Il y a des gens qui cherchent d’autres personnes pour se suicider sur internet. C’est peut-être parce qu’ils ont essayé une fois et n’ont pas réussi ou qu’ils n’ont pas eu le courage de le faire seul. Ca a l’air fictif mais c’est réellement ce qui se passe en Corée actuellement. Je voulais montrer la vie quotidienne dans le film, la jeune fille assiste également à des événements heureux mais paraît triste car elle pense sans arrêt à son suicide.
Pour votre troisième long-métrage, comment vous positionnez-vous par rapport à la production de film en Corée du Sud, esthétiquement parlant?
Au niveau du langage cinématographique, je me positionne plutôt dans le cinéma indépendant ou artistique. Pour les premiers films que j’ai fait j’ai obtenu un soutient financier de la part de grands producteurs mais ça ne m’a pas empêché de garder mes propres idées et mon propre langage. Ca a été vraiment de la chance d’avoir de l’aide financière, je ne pouvais malheureusement pas continuer comme ça. Pour mon troisième long-métrage, j’ai choisi de le produire moi-même de manière indépendante. J’ai fondé la société de production et j’ai été totalement libre de créer. Je n’aime pas trop diviser les films commerciaux des films indépendants parce que je fais seulement ce que j’ai envie de faire, que le film soit produit de manière indépendante ou non.
Comment avez-vous créé les personnages principaux de la jeune fille et du policier lors de l’écriture du scénario?
Pour moi tout le monde peut avoir le désir de se suicider. Au départ, je ne voulais pas justifier l’envie de mourir de mes personnages par des situations difficiles. En en parlant autour de moi, j’ai réalisé que c’était difficile à faire, qu’on avait besoin d’avoir un contexte qui expliquerait cet acte, donner des raisons au public pour comprendre les difficultés du personnage. J’ai donc créé des situations dures pour le personnage féminin. Par contre, je voulais quand même garder mon idée de départ et pour le personnage masculin je n’ai pas tout expliqué dans le film car, pour moi, la raison n’est pas vraiment importante. Chacun peut avoir des difficultés et s’il n’arrive pas à gérer ses problèmes, n’importe qui peut avoir ce genre de désir. Vous voyez, lorsqu’il y a une nouvelle qui annonce le suicide de quelqu’un, la société va ensuite dire qu’il a été maltraité en famille, qu’il a vécu une séparation etc. de définir une raison. À mon avis, c’est une violence pour la personne qui est morte et qui n’a plus de parole. Je ne voulais donc pas vraiment faire ça, mais j’ai créé cette situation problématique en résultat de discussions avec mes collègues et le public. J’espère que l’abstrait du côté du garçon sert également à ne pas cerner les raisons de la jeune fille.
Les protagonistes se donnent souvent rendez-vous sur un lac gelé. La nature est très présente dans le film. Que représente-t-elle?
Pour moi c’était important d’avoir une consolation pour ces âmes qui veulent se suicider. La première chose était le croisement personnel, soit par des rencontres au hasard ou volontaires, pour apaiser ces personnalités et les faire changer d’avis, choisir de vivre. La deuxième chose c’est le voyage, la jeune fille dit à sa mère qu’elle va partir en voyage, ce qui peut donner ce contraste entre ville et nature. À Séoul, il y a une grande rivière et, très rarement en hiver, ça gèle. J’ai essayé de marché dessus une fois, et j’ai eu un sentiment bizarre, un mélange de peur et une forme de menace. Je voulais réutiliser ce sentiment dans mon film et j’ai vu qu’à Chuncheon il y avait ce lac, c’est comme ça que j’ai choisi cet endroit. Dans le film, les personnages parlent de trous de respiration dans le lac quand il est gelé, ça existe vraiment. À travers ce lac congelé, qui a des trous de respiration, je voulais représenter la vie, qui a aussi des failles et qui est incertaine quand on avance.
Dans le film, le lien intergénérationnel se construit à travers la nourriture, comme lorsque la fille nourrit sa mère malade par exemple. Pourquoi?
J’ai eu beaucoup de questions sur les conflits entre générations mais ce n’était pas ce que je voulais montrer. Les personnages ont des problèmes familiaux donc naturellement il y a la génération des parents et celle des enfants. C’est pour ça que le public voit deux générations mais ce n’était pas tellement ce que je voulais représenter. Concernant la nourriture, je voulais parler de la vie quotidienne; dormir, manger etc. En Corée, dans la langue, on fait souvent référence à la nourriture. Lorsqu’on se voit à midi et qu’on demande à l’autre « Tu as mangé? » ce n’est pas une invitation pour aller dîner ensemble mais une forme de politesse pour demander comment l’autre se porte. Peut-être parce qu’on a vécu la guerre dans les années 1950 et qu’il y a eu une progression très rapide ensuite. En sortant de la pauvreté et à ce moment-là, on s’inquiétait de ne pas assez manger. Une salutation commence par « As-tu mangé? As-tu bien mangé? » pour demander « Comment vas-tu? » parce que si on peut manger tout ce qu’on veut, c’est un signe de réussite. La nourriture en Corée est encore quelque chose d’important.
Quels sont vos futurs projets?
Je n’en ai pas vraiment. J’ai deux, trois scénarios en cours mais j’ai un peu peur de commencer un quatrième film. Je n’ai pas encore eu le courage de choisir donc ça prendra encore un peu de temps. Dans une autre interview, j’ai dit que j’allais commencer le tournage de mon prochain film en septembre mais je ne pense pas que ça va se faire comme ça.
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