Ce film, tout d’abord, c’est un projet qui a mis du temps à se profiler, à se concrétiser. À commencer par le rôle titre, où Sony Pictures voyait George Clooney ou Noah Wyle pour incarner Steve Jobs. Mais voilà que David Fincher est nommé réalisateur du biopic, et veut Christian Bale comme acteur principal. Coup de théâtre, Fincher lâche le projet et voilà qu’entre en scène Danny Boyle. Le réalisateur britannique, lui, veut Leonardo DiCaprio. Comme vous le savez, DiCaprio décide de se retirer du projet pour se consacrer à son rôle dans The Revenant et laisse le rôle principal vacant. Entre-temps, Universal Pictures rachète les droits du film à Sony Pictures et…Christian Bale est une nouvelle fois annoncé pour incarner Jobs. Pour une seconde fois, Bale se retire du projet et cette fois-ci, Michael Fassbender est engagé pour camper Steve Jobs. Fin du feuilleton.
Inspiré de la biographie de Walter Isaacson, Steve Jobs s’intéresse à trois moments distincts. Entre le lancement du Macintosh en 1984 et de l’iMac en 1998, le métrage nous emmène dans les coulisses du développement de la marque Apple et, surtout, dans l’intimité de Steve Jobs, un génie de la révolution numérique.
Danny Boyle et Aaron Sorkin insistent sur trois chapitres incontournables de l’existence de Steve Jobs. À commencer par le lancement du Macintosh en 1984. Après une pub gigantesque à l’occasion du Super Bowl – l’événement sportif de l’année aux USA -, Apple espère une vente de record de son nouveau bébé. Ce lancement de produit provoquera la déroute du fondateur de la marque et dans la foulée son licenciement. Le second chapitre est le plus drôle et le plus audacieux. En 1988, dorénavant à la tête de NeXT qu’il a fondé en 1985, nous découvrirons Steve Jobs avant le lancement de son joli cube noir qui…ne fait rien. Le lancement ainsi que l’entreprise feront un flop. Mais Jobs est l’âme d’Apple, et le voilà de retour pour le lancement de « son » iMac en 1998, avec le succès qu’on lui connaît…
Les décisions se prennent dans les coulisses. Une phrase qui colle parfaitement à l’oeuvre de Danny Boyle qui dépeint un film où « le champ de la distorsion de la réalité » prend tout son sens au fil des minutes qui défilent sous nos yeux. Brosser le portrait d’un homme aussi brillant que Steve Jobs n’est pas une mince affaire, tant l’homme est complexe. Un être calculateur, manipulateur, mais diablement efficace dans sa manière de procéder pour vendre ses produits. Jobs a révolutionné l’ère du numérique par sa vision et son caractère méprisable. Malgré les échecs commerciaux, Steve Jobs possède cette faculté de surfer sur l’échec et de le transformer pour améliorer son concept et le rendre indispensable. Grâce au talent de Sorkin et Boyle, les trois actes qui sont au centre du film sont fascinants professionnellement et personnellement. Jobs y est décortiqué méticuleusement à travers ces 14 années. C’est là que nous sentons la patte à Sorkin, où le scénariste rend une copie parfaite grâce à son écriture – de longs dialogues rythment le film – qui vous plonge dans le vif du sujet tout en gardant un rythme effréné. Jamais vous ne vous embêterez à suivre les péripéties du fondateur d’Apple.
Si Jobs était un être à part, ses relations conflictuelles laissaient une belle ombre au tableau. À commencer par la relation qu’il entretenait avec Steve Wozniak, co-fondateur d’Apple, – excellente prestation de Seth Rogen – qui lui demande un semblant de reconnaissance, ce que Jobs semble ne pas vouloir lui donner. Ensuite, nous avons Chrisann Brennan (Katherine Waterston) qui, elle, lui demande de reconnaître leur enfant, Lisa. Une fille que Steve Jobs ne reconnait pas comme son propre enfant. Peut-être rongé par la culpabilité, Jobs mettra du temps pour assumer sa paternité, mais il le fera. Une des relations les plus fascinantes dans ce métrage, c’est celle entre John Sculley, PDG d’Apple, et son fondateur. Magistralement interprété par Jeff Daniels, John Sculley fait office de « figure paternelle » et parvient – peut-être la seule personne – à canaliser le génie qu’est Steve Jobs. Par contre, la pièce maîtresse dans l’échiquier de Jobs, c’est Joanna Hoffman. La brillante Kate Winslet campe une femme qui semble s’esquisser comme la « bonne conscience », la voix de la raison pour l’homme fort d’Apple. Elle sera la personne qui colmatera les brèches et tiendra le navire – entre les conflits personnels et professionnels de Jobs – à flot. L’adage le dit : derrière chaque grand homme se cache une femme. Pour Steve Jobs, c’est Joanna Hoffman.
Si un premier aperçu de la vie de Jobs fut mis en scène – Ashton Kutcher campait le boss d’Apple -, ce Steve Jobs est une capture de bruits de couloir, de discussions électriques dans les coulisses qui font le mystère d’une marque légendaire. Tout comme ses dialogues détaillés, Steve Jobs est minutieux à travers les époques ne laissant échapper aucun détails. Derrière ce film, le travail considérable d’un metteur en scène comme Danny Boyle est à souligner. Peut-être moins extravagant visuellement que Trance, Boyle « synthétise » la vie de Jobs avec un suivi des conversations presque cérémonieux. L’envie de laisser la place aux discussions électrisantes assure une trame dramatique et rythmique fascinante. Une oeuvre périlleuse, où Michael Fassbender est à l’image du film : brillant et fascinant. Force est de constater que Fassbender aligne les performances d’envergure et, à coup sûr, l’un des acteurs les plus prolifiques de sa génération. Malgré leur manque de ressemblance physique, l’acteur se glisse dans la peau de Jobs avec une facilité déconcertante et fascine par son regard téméraire. Le talent fait le reste.
Dans la même veine que The Social Network, Steve Jobs est un somptueux aperçu de ce qu’il se passait dans les coulisses d’un empire tel que Apple. De par la direction intelligente de Boyle et le sens aiguisé de Sorkin, Steve Jobs nous entraîne dans les rouages d’un orchestre frileux, où son chef, insensible, tente de tenir la partition coûte que coûte. L’expérience est forte, si exaltante que nous sommes happés par la tension environnante. Le spectre de Steve Jobs semble flotter au-dessus d’une oeuvre aussi brillante.
Bande annonce | Steve Jobs
Fiche technique :
Réalisé par : Danny Boyle
Date de sortie : 3 février 2016
Genre : Biopic, Drame
Durée : 2h02min
Nationalité : Américain
Scénario : Aaron Sorkin, Walter Isaacson
Musique : Walter Pemberton
Distributeur suisse : Universal Pictures
Casting :
Michael Fassbender
Kate Winslet
Seth Rogen
Jeff Daniels
Michael Stuhlbarg
Katherine Waterston
Ripley Sobo