Le Billet a rencontré Dimitri Storoge lors du Festival du film et forum international sur les droits humains à Genève en mars dernier. L’acteur qui interprète Hassan, chef d’une cellule terroriste, dans Made in France de Nicolas Boukhrief était venu présenter le film lors d’une projection très attendue à Genève. Une occasion presque unique de voir le long métrage sur grand écran. Le film, dont la sortie était prévue le 18 novembre, n’avait pas été distribué en salle après les événements du 13 novembre à Paris. Made in France raconte, sous forme de thriller, l’histoire de Sam, un journaliste indépendant, qui infiltre une cellule terroriste prête à commettre une série d’attentats dans Paris. Au-delà du débat autour de la peur des exploitants à le diffuser, Made in France a également beaucoup fait parler de lui pour son aspect « prémonitoire ». Un destin qui a fait du film une sorte de mythe, que l’acteur a tenté de déconstruire lors de notre rencontre. Dimitri Storoge revient sur la genèse du projet, sur les débats qui ont entouré sa sortie mais également sur la nature du film qui a souvent été noyée par son triste lien avec l’actualité.
Propos recueillis par Milena Pellegrini.
Comment avez-vous travaillé le personnage de Hassan? Et comment vous êtes-vous approprié le sujet de la radicalisation ?
La construction du personnage s’est faite de plusieurs manières. On a beaucoup discuté avec Nicolas Boukhrief. Il a commencé à traiter du sujet après Khaled Kelkal. (membre du Groupe islamique armé et responsable d’une vague d’attentats en France en été 1995). Ensuite, il y a eu l’affaire Mohammed Merah et il a débuté l’écriture du film en fin 2012. Il a amassé une somme d’informations sur la radicalisation et sur ces cellules assez immense dont on a beaucoup parlé. Ensuite, ça a été une construction de personnage assez classique : trouver les motivations, un corps, comment se déplacer, regarder les autres.
C’est un film qui a été rattrapé par l’actualité et qui a été tourné avant tout les événements qui se sont passés: avant Chalie Hebdo et avant le 13 novembre. Le propos du film ce n’est pas la radicalisation car ils sont déjà radicalisés. Il y avait une scène, qui n’est plus au montage, qui explique comment Hassan, mon personnage, s’est radicalisé. Elle m’a donné une base pour construire mon personnage.
Quelle était votre connaissance de l’Islam avant le film?
Très faible. Je ne suis pas de culture ou de confession musulmane. C’était très succinct et ça faisait partie du personnage de découvrir cette religion.
Quelle a été votre réaction en lisant le script ? Le sujet du film vous a-t-il fait réfléchir avant d’accepter le rôle?
Pas du tout. C’était un sujet qui était moins brûlant et en plus si c’était à refaire j’accepterais, encore plus aujourd’hui, le rôle de Hassan.
Il faut parler de ces sujets, en faire des films et des livres.
On a commencé à se voir environ 6 mois avant le début du tournage avec Nicolas, on se connaissait déjà. On s’est vu un jour et il m’a donné son scénario pour que je le lise. À la base, il m’avait proposé le rôle du journaliste, le personnage de Malik Zidi. Par des changements de distribution, je suis revenu sur Hassan. J’ai lu et j’ai accepté dans l’heure.
Comment s’est déroulé le tournage avec Nicolas Boukhrief ?
Bizarrement, ça a été un des tournages les plus joyeux que j’aie fait alors que le sujet est très lourd et très grave. Mais en même temps c’était un film de genre, un thriller. Nicolas est un grand réalisateur et l’entente a été assez idéale.
Comment l’équipe du film a-t-elle réagi lorsque la décision de ne pas distribuer le film en salle a été prise?
Je ne peux pas parler pour tout le monde. Mais on en a beaucoup discuté. Il est arrivé un moment où le film est devenu très difficile à monter, c’était très compliqué de trouver des producteurs pour le faire. Le 7 janvier, un distributeur s’est retiré. On ne savait pas si le film allait être distribué. Une sortie était mise au 4 novembre et ça a été repoussé au 18. Le 13 novembre a été une déflagration assez phénoménale en France. On était arrivé à un point où il fallait que le film soit vu quelque soit le médium. En e-cinéma, c’était très bien, il fallait qu’il soit vu. On peut regretter pendant des années que le film ne soit pas sorti en salle, en attendant le film est visible, il est accessible par tout le monde.
On a beaucoup parlé de la polémique autour du film. Y-a-t-il eu un « faux débat » autour du film qui a empêché de parler de la substance et du fond du long métrage?
C’est un peu le problème. Je ne sais pas si c’est un « faux » ou un « vrai » débat. Ce qui était le plus triste, comme vous l’avez dit, c’est que le film a été dépossédé de sa nature cinématographique. Soit il était perçu comme un précurseur : on parlait de Nicolas comme un voyant qui avait prédit la catastrophe avant tout le monde alors que ce genre d’événements arrivaient tout le temps et partout. Ce n’était pas exceptionnel, il suffisait de lire. Soit on parlait du courage qu’il avait eu d’avoir réalisé ce film. Mais encore, on a fait un film sur un sujet que l’on trouvait important, c’est la réalité qui en a fait quelque chose qui dépasse la fiction. Pour cela, on a beaucoup moins parlé de la nature cinématographique du film et de sa grande qualité de thriller.
Est-ce que l’expérience de Made in France a changé votre regard sur le phénomène de radicalisation en France?
Oui, de tout à fait. Au-delà de l’horreur de ce qui s’est produit et je n’essaye en rien de justifier ou d’excuser ce qui a été fait.
Avec le film, on a essayé de comprendre, réintroduire, dans le monde des hommes, le mal absolu. Et pour le moment, ces gens-là, c’est le mal absolu.
Moi je ne pense pas que ce soit le mal absolu, car le mal absolu n’existe pas. On voulait les humaniser. Je joue le chef de cellule, qui est le plus virulent et j’ai eu l’impression, à mon petit niveau, de comprendre ce qui peut amener des hommes et des femmes à faire de telles atrocités.
Made in France est désormais disponible en e-cinéma et en DVD depuis avril 2016.
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