Rencontre | Pilar Anguita – Mackay et Pierre Monnard créatrice et réalisateur d’Anomalia

Rencontre avec Pilar Anguita-Mackay et Pierre Monnard, créatrice et réalisateur de la nouvelle série suisse-romande "Anomalia" lors du Festival Tous Ecrans à Genève.

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Anomalia
Pilar Anguita Mackay et Pierre Monnard lors du Festival Tous Ecrans à Genève ©Le Billet

La nouvelle série fantastique produite par la RTS arrivera sur nos écrans dès le 16 janvier sur RTS 1. Valérie Rossier, neurochirurgienne incarnée par Natacha Régnier, retourne dans son village natal avec son fils Lucas. Alors qu’elle accepte un nouveau poste dans une prestigieuse clinique, des événements étranges viennent perturber la quiétude des nouveaux arrivants. Une série fantastique mélangeant guérisseurs, médecines traditionnelles et secrets de famille qui a été tournée en Gruyère dans un ancien préventorium des années 30 – Le Rosaire. Le Billet a rencontré sa créatrice, Pilar Anguita-Mackay et son réalisateur, Pierre Monnard lors du Festival Tous Ecrans à Genève. Pierre Monnard a gagné le prix du meilleur court-métrage suisse en 2003 à Soleure avec Swapped et réalisé son premier long-métrage Recycling Lily en 2013. Pilar Anguita-Mackay écrit et réalise La mémoire des autres en 2006 et écrit Jeux d’été réalisé par Rolando Colla en 2011. Ils nous parlent de la création d’Anomalia mais aussi de l’univers des séries télévisées et de sa place dans la production en Suisse-romande.

Propos recueillis par Milena Pellegrini 

Pouvez-vous me raconter l’histoire du développement de la série ? Comment l’histoire d’Anomalia est-elle née ?

Pilar Anguita-Mackay : J’ai commencé avec ce projet il y a environ 2 ans et demi. D’abord j’ai écrit et Pierre s’est joint aux séances d’écriture du scénario pour donner son avis. Le projet a commencé avec l’envie de faire quelque chose dans un format plus long : la série est l’équivalent de 5 longs-métrages. J’avais envie de développer plus de personnages et suivre les dilemmes et les problèmes de ceux-ci sur la longue durée. J’avais très envie de faire quelque chose de fantastique ; une série entre le réel et l’irréel.

Comment développez-vous vos personnages ? Sont-ils inspirés de gens que vous connaissez ?

Pilar Anguita-Mackay : C’est très drôle car j’ai fait un cours de culture du cinéma et une des premières choses qu’ils nous ont dit était : « Inspirez-vous des gens que vous connaissez, même des gens très proches de votre famille. Ils ne se reconnaîtront jamais ! » Et c’est très juste ! Evidemment, certains traits sont inspirés de gens que je connais. Je suis quelqu’un à l’écoute de beaucoup de choses, de très ouvert. Un personnage se construit avec des bouts de « moi » de « lui » ; c’est un mélange. Une chose qui est sûre : je dois être au clair sur ce que ces personnages veulent depuis le début. Une fois que j’ai répondu à cela tout commence à prendre forme.

Pourquoi avoir choisi la Gruyère comme lieu de tournage ?

Pierre Monnard: Je crois que le désir de raconter cette histoire en Gruyère a toujours existé. Quand j’ai lu les premières versions du scénario, il se déroulait déjà en Gruyère. C’est une terre qui a de l’histoire et c’est une magnifique région qui offre une grande palette de paysages mais surtout une atmosphère qui se prête vraiment bien à raconter des histoires fantastiques.

Pilar Anguita-Mackay : La région n’est pas connue, donc c’était aussi l’idée d’aller dans un endroit qui est nouveau pour le public.

Pierre Monnard: Il y a deux facettes : la facette carte postale qu’on connaît bien, avec le village de Gruyère, son château, ses murailles. Mais dans la série, on tente de montrer les « backstreets » de Gruyère. Ses endroits plus cachés.

Le Rosaire, lieu de tournage d'Anomalia ©Tous écrans
Le Rosaire, lieu de tournage d’Anomalia
©Tous écrans

Est-ce que ça fait plaisir au public suisse se s’identifier aux lieux de tournage?

Pierre Monnard : C’est important de s’identifier à l’histoire. Nous, les Suisses, sommes très émotionnels quand il s’agit de nos paysages et de nos régions !

Pilar Anguita-Mackay: Oui et les gens connaissent bien leur région et ça leur fait plaisir de la voir à l’écran !

Les thèmes de la médecine et des guérisseurs vous intéressaient-ils depuis longtemps ?

Pilar Anguita-Mackay: C’est une connaissance qui m’a parlé des guérisseurs pour la première fois. Je ne suis pas Suisse, je suis Chilienne. Chez moi, cela s’appelle les «Curaneros ». Au Chili, je ne suis jamais allée en voir mais une fois que cette amie m’en a parlé, j’ai commencé à en discuter avec les gens du coin et je me suis rendue compte que presque tout le monde était déjà allé chez un guérisseur ou pensait aller en voir un. C’est incroyable ! C’est tabou, personne n’en parle mais tout le monde y croit ! J’ai rencontré une femme médecin qui a le pouvoir de guérisseur et c’est principalement elle qui m’a inspirée. Rencontrer des gens qui ont ce dilemme entre la médecine traditionnelle et la guérison m’a beaucoup inspiré.

Avez-vous prévu une saison 2 pour Anomalia ?

Pilar Anguita-Mackay : Oui oui ! Même déjà un peu entamée. Nous avons déjà les lignes principales en attendant de voir ce que cela donne. Cela dépendra de la diffusion. Et de l’accueil du public.

Pierre Monnard : La saison 1 raconte une histoire qui se clôt au dernier épisode mais s’ouvre sur la possibilité d’une suite. L’envie y est ; maintenant il faut voir l’accueil du public !

Vous avez tourné des longs-métrages, quelle est la différence entre la réalisation d’un format série et celle d’un format plus long ?

Pierre Monnard : La grande différence c’est le format, la longueur. On se retrouve dans une course de fond, dans une sorte de marathon. On a fait 60 jours de tournage. C’est une période longue et intense. La plus grande différence, c’est le volume, car en terme de conception, de mise-en-scène, d’organisation, de tournage c’est très semblable.

Nous sommes à Tous écrans qui met à l’affiche non seulement le grand mais aussi le plus petit écran. L’avenir du cinéma se trouve-t-il sous le format de la série TV ?

Pilar Anguita-Mackay : Je pense que la télévision est en train de poser un défi au cinéma. Le cinéma va devoir se réinventer et faire des films de niche. Des films plus artistiques, plus expérimentaux.

Pierre Monnard : Ce qui est sûr, c’est que l’on vit une période dorée pour la série TV. De nombreuses séries sont produites et beaucoup de gens qui travaillent au cinéma se mettent à en faire. Peut-être qu’il est plus difficile de monter des longs-métrages d’auteur, alors les gens qui faisaient ce cinéma indépendant s’orientent plus vers la série où il existe une plus grande liberté de ton. Dans les séries, les histoires sont plus menées par les personnages que par l’action. Au cinéma, James Bond sort cette semaine et on le retrouve sur 50 écrans ici à Genève. Ca, c’est de l’action. Les histoires plus intimistes sont maintenant racontées à la télévision. C’est très excitant pour les auteurs et pour les réalisateurs.

En Suisse on ne produit pas beaucoup de séries. Avez-vous directement rencontré de l’enthousiasme à produire Anomalia ?

Pilar Anguita-Mackay : En toute honnêteté, les gens étaient réticents au début. J’ai eu une grande chance qu’Alberto Chollet (ancien rédacteur en chef fiction, jeunesse et divertissement de la RTS) a pris plus de risques, il a choisi cette série étrange et originale qui sortait de la norme. Françoise Mayor a repris le poste (responsable de la fiction à la RTS) et a bien pris le train qui était déjà en marche en se rendant compte que nous produisons une série d’auteurs. Je crois qu’elle a bien su diriger le produit vers cette idée.

Pierre Monnard : J’aimerais apporter un contre-point à ce que tu disais. En Suisse, la production de séries est très dynamique. Si on regarde par rapport à la taille du pays, en Suisse-romande qui est toute petit et anonyme, on produit une série par année ; ce qui est assez incroyable. A côté de ça, ils sortent 2 à 3 séries web par année. Helvetia, par exemple, dont la seconde saison sera présentée ce soir. En Suisse-allemande, beaucoup de séries se produisent. Donc je trouve que l’on se débrouille pas trop mal par rapport à l’échelle du pays.

Mais par contre les séries ne s’exportent pas !

Pierre Monnard : C’est vrai. A l’exportation c’est plus difficile. On a fait des séries avec des thèmes plus régionaux et locaux. Mais ça commence ! Der Bestatter, la série suisse-allemande, a été vendue à l’étranger dans pleins de pays. Espérons que ça sera le cas également en Suisse-romande.

Est-ce qu’Anomalia va s’exporter ?

Pierre Monnard : L’envie existe évidemment. La série est déjà montrée dans différents Festivals. On était à Fontainebleau, à Mannheim, maintenant en Estonie, à Talin. Ce soir ici à Genève. Elle est déjà montrée à l’étranger et des intérêts ont été exprimés, mais les gens attendent de voir toute la série pour pouvoir décider.

Une dernière question, lorsqu’une série est diffusée à la télévision, comment avez-vous un retour du public ?

Pilar Anguita-Mackay : En effet c’est un peu compliqué ! J’apprécie de venir au festival car le public réagit tout de suite. J’aime beaucoup avoir cette opportunité.

Pierre Monnard : Peut-être au café du commerce, le dimanche matin, vu que la série sera diffusée le samedi soir ! Ensuite, il y a les réseaux sociaux qui jouent un grand rôle ; les gens pourront s’y exprimer. Au final, ce qu’on espère c’est trouver un public ! On verra dans le futur comment la série sera accueillie !

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Diplômée en Etudes du développement international, je rejoins l'équipe du Billet en janvier 2015. Films engagés, indépendants, je suis à la recherche d'un cinéma qui perturbe le sens commun et heurte la banalité. Parallèlement, je travaille sur différentes recherches académiques sur le cinéma et la mémoire ainsi qu'au sein du bureau du festival Cully Jazz.