Mick Jenkins vit d’amour et d’eau fraîche

Son premier album officiel, The Healing Component, est une réussite.

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Image droits réservés - Mick Jenkins

Peu d’artistes et surtout rappeurs oseraient s’étaler sur le sujet si complexe et vague qu’est l’amour. Il y a des risques de virer totalement sur une histoire de romance superficielle et fade digne de quelques téléréalités à l’eau de rose ou encore de passer pour un homme fragile dans un monde de gangsters et de brutes, mais Mick Jenkins le voit d’un autre œil sur son projet récemment sorti. En effet, dans The Healing Component, l’artiste se mue en tant que prêcheur de quartier en voulant transmettre la bonne foi et l’amour dans un monde si controversé actuellement. C’est un sujet délicat à traiter qui laisse paraître beaucoup de doutes quant au réalisme de ce dernier. Mais sur son premier album officiel sorti sur Cinematic Music Group (label ou sont signés Joey Bada$$ ou Big K.R.I.T. entre autres), Mick prouve le contraire et fait étalage de tous ses talents sur un disque à quinze pistes efficaces qui s’instaure d’ores et déjà comme un des meilleurs projets de cet automne.

Régulièrement interviewé par une femme tout au long de l’album, le rappeur exprime ses pensées personnelles et son expérience au niveau de ses relations amoureuses. Alors qu’il arborait fièrement son addiction et son amour éternel à l’eau dans ses précédents projets (cf Water[s]), l’artiste de 25 ans mélange ici cet élément, indispensable pour tout être humain, avec l’amour. Deux facettes qui, selon lui, guérissent tout individu et donnent espoir. Sur le refrain du morceau éponyme, il compare judicieusement ce moyen de guérison avec le cannabinoïde (substance principale du THC) en prouvant ironiquement sous le thème de l’addiction que The Healing Component est l’amour.

Dans un rap progressiste (As Seen in Bethsaida) qui varie régulièrement entre de la soul, du jazz et du blues, Jenkins utilise parfaitement son haut-niveau intellectuel pour insérer des couplets agrémentés d’une variété de métaphores, de punchlines et de phrasés multi-syllabiques. Habile à la plume, on remarque au fil de l’écoute que l’artiste se focalise principalement sur la prière et la foie en Dieu (le très bon Daniel’s Bloom) ainsi que la transmission de l’amour, son fameux « Spread Love » revient tout au long de l’écoute. Attention à ne pas s’arrêter sur un cliché d’un rap chrétien car le rappeur est loin de se conformer à un seul point de vue.

Don’t let the struggle make your heart harder
Sip the truth, spit the truth
That’s the smart water
I’m talkin’ gospel, J Hova, no Shawn Carter
Love is stronger than pride
But also love is a muscle
You gotta build from inside
And amidst the hustle and bustle
Amidst the roll of the thunder
I play the role of a Russell Westbrook or Simmons

En effet, sur le single Drowning, le rappeur se penche plus précisément sur le thème incontournable du Black Lives Matter qui provoque tant de débats aux États-Unis. Dans une excellente production rythmée par des riffs de contrebasses et des percussions similaires à des ustensiles de cuisine, la voix grave du rappeur relate un sujet… gravissime. Il n’hésite pas à changer aussi régulièrement le ton en essayant les aigus pour souligner des « I can’t breathe ». On retrouve aussi des variations de sonorités qui peuvent donner deux différentes parties dans un seul morceau comme sur Strange Love, avec cette ambiance mélancolique en fin de piste vigoureusement soutenue par des violons.

Entre des productions de Kaytranada (1000 Xans), BadBadNotGood, THEMPeople et des collaborations de la part de theMind ou encore de la talentuese Noname, Mick a su s’entourer d’un certain nombre d’invités qui correspondaient parfaitement à l’alchimie et l’atmosphère d’un album qui peut vite varier d’une composition jazz à un morceau plus planant. Dans ce genre d’ambiance on retrouve d’une part le très réussi Fall Through agrémenté tout le long d’un chœur féminin et d’autre part un Angles typé plutôt électro mais qui s’avèrent être apaisant. Sur ce dernier morceau, on notera l’excellente prestation de Noname qui réalise un couplet de haut vol, mention spéciale également à Xavier Omär qui porte le morceau à lui tout seul grâce à son refrain retentissant.

Originaire de Chicago, Mick Jenkins prouve une fois de plus que Windy City regorge d’une multitude de jeune talents voués à régner sur la nouvelle génération du rap game. Souvent mélancolique, l’artiste transporte son auditeur avec une facilité déconcertante dans son monde à mille et une merveilles. Conscient d’avoir en sa possession une voix grave envoûtante qui a tendance à hypnotiser l’auditeur, le rappeur sait alors manier avec délicatesse les intonations mais aussi la rythmique de son flow pour appuyer sur les moments importants. Ce n’est pas tout, The Healing Component est un projet maîtrisé de bout en bout qui s’apprécie d’autant plus grâce à un jeu de mixage et une qualité de musique optimale. Le prouvent, les morceaux servant d’introduction et de conclusion qui regroupent une variété de sonorités que cela soit dans les instruments enregistrés live, des percussions qui se suivent en l’espace d’une demi-seconde ou encore en jouant sur des simples grésillements et des différences de volumes (cf. The Healing Component à partir de 0:40 et 3:15).

Pour le voir en live, Mick Jenkins se produira le 28 octobre à Neuchâtel à la Case à chocs.