FIFF 2016 | Rencontre | Hassen Ferhani

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©FIFF/Julien Chavaillaz

Né à Alger en 1986, Hassen Ferhani, réalise son premier documentaire court-métrage Les baies d’Alger à l’âge de 20 ans. Après deux autres courts-métrages (Afric Hotel et Tarzan, Don Quichotte et nous), le jeune cinéaste revient avec un premier long-métrage: A Roundabout in my head (Dans ma tête un rond-point). Hassen Ferhani a passé deux mois et demi dans le plus grand abattoir d’Alger, accompagné d’un ami pour la prise de son, pour saisir des instants suspendus où les ouvriers qui l’occupent parlent d’amour, d’espoirs, de peurs et de poésie avec comme son de fond les cliquetis des machines. Une photographie magnifique qui met en scène un monde entièrement masculin où les femmes existent à travers les récits qui font vivre ce lieu.

Le réalisateur décide de filmer pendant l’Aid, car c’est à ce moment-là que, selon lui, « la réalité entre dans l’abattoir ». Sombre pour certains et tinté d’espoir pour d’autres, le documentaire laisse de la place à l’interprétation du spectateur comme le souhaite son réalisateur. Il raconte amusé qu’alors que certains voient en son long-métrage un portrait sombre de la société algérienne, les gens ont plutôt ri pendant les projections en Algérie. A Roundabout in my head , un film de contrastes et d’une poésie réaliste rare, est en compétition internationale pendant la 30ème édition du Festival international de Films de Fribourg. Le Billet a rencontré le talentueux Hassen Ferhani.

Roundabout in my head sera projeté mercredi 16 mars à 17:30 et jeudi 17 mars à 12:45. Retrouvez le programme complet ici.

Propos recueillis par Milena Pellegrini.

Quel est le parcours qui t’a mené à faire ce documentaire?

Je suis d’un quartier d’Alger qui se trouve juste à coté des abattoirs. Je voulais faire un film avec des ouvriers, c’était quelque chose d’important pour moi. Ensuite, c’est aussi une rencontre avec un lieu. Je suis rentré dans cet endroit et j’ai découvert un univers complètement impressionnant. Un univers sonore – le bruit de l’abattoir mélangé avec la musique raï – et des lumières incroyables.  Un article parlait  aussi de la destruction des abattoirs prochainement. Je me suis dit que c’était le moment d’y aller et filmer ce lieu pour lequel j’avais eu un coup de coeur.

Comment as-tu établi une relation avec les protagonistes? Tout au long du documentaire, ils se dévoilent face à ta caméra, comment as-tu construit cette relation?

On est arrivé là-bas, ils étaient nombreux. Il fallait expliquer ce que j’avais envie de faire. Quand on me posait la question je disais « j’ai envie de faire un film qui parle de tout sauf de viande ». C’était des singularités, des personnes incroyables que j’ai rencontrées à l’intérieur. Comme c’est un film que j’ai fait avec eux, et pas sur eux, il fallait que de leur côté il y aie une envie de faire le film. Cela s’est fait au fur et à mesure des rencontres. Des gens qui ne voulaient pas être filmés, des gens qui voulaient être filmés et certains voulaient être filmés d’une certaine façon. Les deux protagonistes principaux ont tout de suite compris l’idée du film. Au bout de la première semaine, j’ai commencé à les filmer. Avec d’autres protagonistes cela a pris plus de temps. J’ai passé deux mois et demi à l’intérieur.

Es-tu toujours en lien avec les protagonistes?

Je suis toujours en lien avec eux et on n’a pas perdu contact. On se téléphone et on se voit, étant donné que je suis souvent en Algérie. Certains ne sont plus dans les abattoirs et certains sont toujours là-bas.

Est-ce qu’une femme aurait pu réaliser ce film?

C’est un lieu exclusivement masculin donc je pense que ça serait un peu plus dur de s’intégrer. Peut-être que je me trompe et que quand tu es une femme, tu te fais accepter plus facilement. Je pense qu’une femme aurait pu faire un film dans des abattoirs mais le résultat aurait été complètement différent. Le genre ne compte pas, mais le lien est important. Elle n’aurait pas fait celui-là, mais elle aurait fait un autre film. Le fait d’être femme étrangère, ça peut aussi amener une autre relation.

Image droits réservés © Allers Retours Films
Image droits réservés © Allers Retours Films

On parle de la place des Femmes au cinéma pendant cette 30ème édition du FIFF, est-ce que les hommes sont parfois enfermés dans une certaine définition de la virilité ?

Forcément quand tu es dans un monde exclusivement d’hommes, quand tu te lèves le matin avec un mec poilu à côté de toi et que tu n’es qu’avec des hommes toute la journée, ça devient un univers masculin avec tout ce que ça comporte: des choses bien mais aussi du machisme. Je pense que c’est pareil pour les univers féminins. Cette question du genre, j’en parle avec prudence parce que je n’aime pas figer les catégories, qu’elles soient géographiques, d’appartenance ou de genre. Ce sont  des choses que j’ai dépassées par mon entourage, par ce que je lis, par ce que je vois. Je l’aborde d’une autre manière.

Certaines scènes sont tellement esthétiques qu’elles semblent misent en scène? Est-ce le cas?

Il y a quelques plans séquences qui sont mis en scène mais très peu. Par « mis en scène » je n’entends pas celle que l’on fait en fiction où l’on demande à un personnage de faire telle ou telle chose. Par exemple pour l’histoire de la mouette, le protagoniste me l’avait raconté en « off » et je lui ai demandé de le refaire. C’est une question de comment aborder le réel. La plupart des choses sont brutes et réelles mais filmées avec une certaine subjectivité et avec une mise-en-scène de la caméra: la hauteur de la caméra, le cadre. Au final, le documentaire se monte comme une fiction : on choisit de raconter une histoire avec les scènes qu’on a filmées.

Quel avenir pour le jeune cinéma algérien? Je te pose quand même la question même si tu n’aimes pas les catégories figées…

Je vais quand même répondre à ta question! Il se passe plein de choses, plein de cinéastes font des choses incroyables. Il est plein d’avenir. Maintenant il y a plein de choses à régler : que le public algérien puisse avoir accès aux films des algériens, c’est là que se joue le plus gros enjeu. En termes de créativité, il y a beaucoup qui se fait, énormément de films sont en festivals et raflent même des prix.

Beaucoup de ces films ne sont pas vu en Algérie et le tien alors ?

Oui mais  trois fois. C’est rien du tout! 

Et les infrastructures, c’est-à-dire salle de cinéma, écoles etc.?

Il y a eu beaucoup d’années où il y avait vraiment une industrie en Algérie et où les gens allaient dans les salles. Ensuite, passé les années 90, tout s’est effondré et maintenant ça se reconstruit, mais petit à petit.

Bande annonce 

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Diplômée en Etudes du développement international, je rejoins l'équipe du Billet en janvier 2015. Films engagés, indépendants, je suis à la recherche d'un cinéma qui perturbe le sens commun et heurte la banalité. Parallèlement, je travaille sur différentes recherches académiques sur le cinéma et la mémoire ainsi qu'au sein du bureau du festival Cully Jazz.