L’attentat. Ce terme, plus que d’actualité ces derniers temps, est le cœur de la première pièce de la talentueuse Amina Gudzevic. Cette jeune étudiante de 23 ans a écrit et mis en scène sa composition en mai dernier à la Grange de Dorigny à Lausanne.
L’Écharde s’interroge sur la couverture médiatique du terrorisme. Doit-on réellement en parler? Est-il nécessaire de voir défiler en boucle les images sanglantes des attentats? Pour mieux comprendre le sens et la volonté de cette pièce, nous avons donné la parole à Amina.
Propos recueillis par Auriane Page
De quoi parle cette pièce et quel est le message principal que vous souhaitez faire passer ?
C’est l’histoire de Simon, un journaliste qui se retrouve confronté à l’horreur de très près. Il doit écrire un article sur un acte terroriste. Il est la figure du journaliste « moyen », avec un chef omniprésent qui pense à faire le plus d’audience possible. Il se retrouve contraint d’écrire une interview d’une victime de cet attentat. En rencontrant cette personne, il se rend compte, ce n’était pas ça son idée du journalisme: il voyait son métier comme un art. Mais il s’est perdu. Finalement, il se dit qu’une de ses valeurs serait justement de ne pas écrire l’article, car il y a des choses bien plus importantes que de vouloir raconter l’horreur par des mots sanglants et des images de cadavres étalés sur le sol.
Pour la pièce, j’ai vraiment voulu créer une atmosphère avec un début tendu. J’avais envie de mettre les gens mal à l’aise. Si le public se demande si c’est normal, on peut se demander si tout ce qui se passe actuellement est normal. On sent que tout cela commence à se « banaliser ». Le premier attentat à Paris a fait l’émeute sur les réseaux sociaux. Finalement, on voit qu’avec les derniers attentats, ça s’est estompé. On s’est habitué à ça. Ça dure deux jours et on n’en parle plus. C’est devenu normal.
L’enjeu de la pièce est de montrer quelles sont ces autres possibilités pour traiter du thème du terrorisme. Je ne donne pas une solution pour montrer l’horreur. Je propose plutôt de laisser ce travail à d’autres arts. D’un avis complètement personnel, j’ai l’impression que les médias servent de caisses de résonance au terrorisme. Donc si les médias essaient de faire de l’information plus concise et réfléchie au sujet du terrorisme, on n’arrivera peut-être pas dans ces schémas où quelque chose se passe, on en parle, c’est revendiqué, et finalement, on ne sait plus qui est quoi. On a vraiment des informations qui sont noyées. Je trouve que, pour l’instant, les médias ont une position très controversée face au terrorisme.
Racontez-nous comment vous avez écrit cette pièce.
Ça va être très court. Je l’ai écrite en une nuit. À la base, c’était pour un séminaire à l’université qui s’appelait « La pensée théâtrale ». J’ai buché dessus et je me suis retrouvée bloquée dans l’écriture. Ça m’a frustrée. Et puis, le soir de Noël, j’étais malade. Après souper, je suis allée me coucher et comme je n’arrivais pas à dormir, j’ai commencé à écrire. J’ai eu la première scène qui s’est mise en place dans ma tête. Puis je n’arrivais plus à m’arrêter et ça a été un flot, une sorte de jet. La pièce s’est écrite en une nuit.
Est-ce que l’on peut dire que la meilleure arme face au terrorisme serait le silence médiatique ?
On n’a pas essayé de rendre le terrorisme tabou. Donc si on essaie, on pourrait voir ce que ça donne. Je ne pense pas que ce soit une solution de se taire complètement, mais peut-être pas de faire de l’information « fast-food », c’est-à-dire une information qui montre le sujet à la minute près. C’est dommage, car on prend la première information qui nous vient. On ne va pas chercher plus loin. Le but de la pièce est de questionner le rôle du journalisme et non pas de le révolutionner.
Qu’est-ce qui a été le plus enrichissant dans cette aventure et qui vous donnerait envie de vous relancer dans une autre histoire ?
Je me suis rendue compte que quand on veut se lancer dans un projet comme cela, c’est faisable. On pense toujours que pour des moyens financiers ou techniques, on voit ça comme un travail de titans. Les gens n’ont peut-être que leur vision professionnelle. Si tu es metteur en scène, tu es metteur en scène professionnel et c’est tout. Je pense qu’il y a beaucoup dans le théâtre amateur qui est en train de se développer à Lausanne et qui nous permet à nous, autant pour les comédiens, metteurs en scène, chefs de projet, à des gens qui font des expositions, de pouvoir avancer dans ce chemin-là avec tous les systèmes de subvention. J’ai surtout remarqué que dans le milieu culturel à Lausanne, on était soutenu pour monter des projets.
Le plus enrichissant pour moi, ça a été ce travail en groupe. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose seule. J’ai essayé de le dire souvent à mes comédiens : « on » fait quelque chose. C’est notre projet, notre pièce. Je n’aime pas dire que c’est juste ma pièce. Chacun a apporté sa touche et ça s’est construit petit à petit. Ce travail avec les autres a permis de donner naissance à un petit bébé ensemble et d’en être fière.
L’écharde
Durée : 1 h
Genre : Drame
Auteur : Amina Gudzevic
Compagnie : Avant-Garde
Mise en scène : Amina Gudzevic et Marion Werlyi
Jeu : Thibault Hugentobler, Fiona Lamon, Hadrien Praz, Orlane Volckaert