Rencontre avec Shyaka Kagame | « Un Noir qui écoute du rock, ça paraît bizarre »

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© Milena Pellegrini - Le Billet.ch

Interroger les identités. C’est ce que le réalisateur suisse d’origine rwandaise, Shyaka Kagame, a accompli à travers l’immersion dans le quotidien de cinq jeunes, issus de la première génération de Noirs nés en Suisse. Après des études en Sciences Politiques, Shyaka a commencé sa carrière cinématographique en étant assistant réalisateur auprès du cinéaste genevois Frédéric Baillif. « Bounty » est son premier film. Nous le rencontrions au Festival du Cinéma d’Afrique, une vitrine pour un cinéma en plein devenir, encore trop peu visible, mais également l’occasion de découvrir de jeunes cinéastes suisses en devenir. 

Bounty est un terme péjoratif, utilisé pour désigner une personne « Noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur », à l’image de la branche chocolatée. Si Shyaka a choisi ce terme, c’est pour jouer avec cette dualité, cette hybridation, tout en l’interrogeant à travers le quotidien de ses personnages. La notion d’identité est un thème qui a défini le fil rouge du travail du jeune réalisateur dès ses débuts :

« Les questions d’identité m’ont toujours travaillé, j’ai fait de la musique, du rap. J’ai fait un album qui s’appelle « étranger chez moi », je suis dans ces thématiques. Ce film était une continuation. »

Les personnages du documentaire ont été choisis pendant les deux ans de repérage durant lesquels le cinéaste a cherché à rencontrer des protagonistes variés, en termes de profil, d’âge et de régions linguistiques.

Bacary, chargé de sécurité aux CFF et Jeffrey, employé de banque à Zurich, se considèrent comme « Suisses ». Rili revendique ses racines africaines alors que Winta se perçoit comme culturellement métissée. Sa jeune fille, Ayan, ne se pose pas encore de question concernant sa couleur de peau. C’est dans le quotidien de ces cinq personnes que s’ancre le documentaire:

« C’est un film qui est plus dans l’intuition que dans l’explicatif. J’essaie de faire un film de personnage, même s’il y a cette thématique d’être Noir(e) en Suisse, j’essaie de travailler sur le ressenti plutôt que sur quelque chose de politique. »

Mais que signifie donc « être blanc à l’intérieur » ? Cette idée de culture ne serait-elle pas trop statique et englobante ? Selon Shyaka, il est rapide de tomber dans les clichés, mais il existe bel et bien des différences marquantes entre les pratiques « suisses » et « rwandaises » par exemple. Tout comme il existe de telles différences entre le Rwanda du Sud et du Nord ou entre la Suisse alémanique et romande.

Un décalage des pratiques illustré par le jeune Jeffrey, que le cinéaste a suivi au Ghana. Évoluant dans un environnement branché zurichois, il se rend au Ghana, son pays d’origine, pour lancer un projet de développement. Il réalise rapidement que les fonctionnements ne sont pas pareil dans les deux lieux. Des clichés qui ont une implication dans le quotidien et dans les attentes que la société projette sur l’individu. Des attentes que le documentaire interroge et renverse  :

« Être Noir, ça a des implications dans ta vie sociale, amoureuse, professionnelle. Un Noir qui écoute du rock, ça paraît bizarre. Quand les gens voient Bakary qui fait du hockey, ils se marrent. Ça nous fait sourire. »

La thématique de la discrimination n’est pas centrale dans le film, bien que présente dans les discussions. Comme nous l’explique Shyaka, « Bounty » a été fait également de sorte à dépasser ce rapprochement systématique entre sa couleur de peau et la dimension discriminatoire. Cette dernière n’est que très peu présente dans le quotidien du cinéaste qui n’a pas souhaité orienter son film dans cette direction:

« Avant de tourner le film, j’ai fait beaucoup d’interviews. Le spectre du racisme et de la discrimination, ils apparaissaient vite et fort… Peut-être trop à mon goût ! Il y a en quelque sorte une certaine attente, souvent lorsqu’on parle des Noirs, on parle uniquement de discrimination. Donc eux-mêmes semblaient répondre à une attente que je pouvais avoir alors que ce n’était pas le cas. »

Pour la suite, le jeune cinéaste est déjà lancé dans un nouveau projet, intitulé « Digital Hills », sur les nouvelles technologies au Rwanda. Un cinéaste à suivre de près. 

Trailer: