Rencontre | Michel Toman, la mise en scène comme peinture sur nuage

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Comédien, metteur en scène, ou encore professeur, Michel Toman a plus d’un tour dans son sac. C’est avec délicatesse et humour qu’il nous a livré certains de ses secrets de mise en scène. Après plus de 30 ans d’expérience dans le domaine, cet artiste multicolore nous emmène faire un tour sur son nuage. Nous vous proposons d’embarquer pour une rencontre avec cet homme à l’univers enchanteur et qui, malgré le temps qui passe, n’a rien perdu de son âme d’enfant.

Propos recueillis par Auriane Page

Comment devient-on metteur en scène ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette discipline ?

J’ai toujours hésité entre le principe de plaisir et le principe de réalité. C’est une certaine constance dans ma vie. À un moment, l’idée était de faire des études sérieuses pour faire plaisir à Papa-Maman. L’autre tendance était de ne pas regretter, un jour, sur mon lit de mort, de ne pas avoir fait ce que j’aime faire. Alors, je me suis jeté dans des études de comédien au Conservatoire de Lausanne. Avant cela, j’ai fait l’université que je n’ai pas terminée brillamment, car je ne l’ai pas terminée du tout. Un jour, au Conservatoire, mon maître de l’époque, André Steiger, m’a attrapé par le col et m’a dit : « Toi, tu vas enseigner ! » C’est la plus belle opportunité que je n’aie jamais eue, car c’est comme ça que j’ai appris mon métier. À partir de 2005, je me suis jeté à corps perdu dans la mise en scène. Ça a été la période « mise en scène » de ma vie qui continue encore aujourd’hui. J’avais envie de faire plus et mieux, de me concentrer là-dessus. En effet, le travail d’acteur, même si tu es en affinité avec tes partenaires de plateau, et en complicité créatrice avec ton metteur en scène, cela reste quand même un trajet relativement solitaire, paradoxalement, même si tu partages la scène avec tes camarades.

Mais la mise en scène, c’est un délire collectif. Quand je prends en charge un projet en tant que chef de projet artistique, j’invite des partenaires à me rejoindre sur un nuage. 

C’est un nuage aux contours indéfinis. Je leur dis : « Voilà, j’aimerais aller là avec vous ». Selon les compétences, les acteurs vont venir colorier le nuage pour un voyage commun. Ce sont des moments extraordinaires.

Quand vous jouez, en tant que comédien, vous êtes « aux ordres » du metteur en scène. Or, quand vous incarnez le metteur en scène, c’est vous qui donnez le ton. Est-ce que le fait de devoir obéir au chef de projet vous a fatigué et donné envie de créer quelque chose vous-même, avec votre univers ?

Non, pas forcément. Je vais donner une contre-argumentation à ta vision des choses : tu prends une ligne, avec un point qui commence et un point qui finit. D’un côté, tu places le metteur en scène/chef de projet ; de l’autre, tu places le comédien/interprète. Si tu prends le théâtre de boulevard, le metteur en scène ne dit que : «  Tu entres par cette porte, tu fais ton numéro, tu passes par la comptabilité et tu vas chercher ton chèque ». Sur la ligne, le point de force de la créativité est du côté de l’interprète à 90%. Si tu prends maintenant Bob Wilson, grand metteur en scène américain de formation architecte, c’est le sommet des arts visuels dans le domaine du spectacle. Wilson a dirigé, par exemple, Isabelle Huppert dans Orlando qui a été montré à Vidy en 1995. Wilson la dirigeait au demi-soupir près. Sur la ligne chef de projet – comédien, la comédienne n’a qu’à bien se tenir, elle ne produit que 10% de la créativité. 

Quand je travaille avec des acteurs, je propose des directions, des options, des pistes, selon la scène. Je n’ai et ne souhaite avoir aucune maîtrise pour certaines scènes. C’est un désordre organisé qui change chaque soir et qui fonctionne très bien.

En tant que metteur en scène, quels conseils clés donneriez-vous pour qu’un projet artistique se déroule au mieux, de la première lecture jusqu’au jour de la représentation ?

Ce que je pourrais dire, c’est qu’il y a des choses qu’il faut savoir et des choses qu’on a le droit de ne pas savoir. C’est valable dans tous les domaines d’excellence. Si tu ignores la date de naissance de l’auteur, tu peux aller la chercher. Si tu ne sais pas comment finir ton spectacle, là c’est une vraie question. En revanche, si ce n’est pas le bon moment pour trouver la réponse, il s’agit d’attendre le juste moment. Si tu ne comprends pas, si tu ne trouves pas la réponse, c’est qu’il y a un élément qui te manque. Il faut se faire confiance, car il y a un juste moment où les choses se mettront en place.

Chaque projet est une aventure singulière qui a ses lois propres. Il faut créer une équipe, que ça circule. Et pour moi, si j’avais un conseil à donner, c’est qu’il n’y a pas que l’objectif qui compte, car, comme le dit le proverbe chinois : « Le bonheur n’est pas au bout du chemin, c’est le chemin ». Il faut que les répétitions se passent bien, dans un flux congruent. Je pense que le plaisir qu’une troupe traverse et diffuse depuis le plateau vers la salle est communicatif, le public le ressent, que ce soit une tragédie ou une comédie. A vrai dire, tout est affaire d’équilibre, autant pour les acteurs que pour le public. Ma technique, c’est de mettre de la comédie dans le drame et du drame dans la comédie. Je pense qu’avoir des soupapes de ventilation dans un drame, c’est la clé. Au contraire, le rire gratuit, ce n’est pas trop le genre de la maison.

Petite question au Professeur Toman : si un de vos élèves doit travailler sur une scène dramatique impliquant un moment d’émotion intense, allant jusqu’aux larmes, comment aidez-vous cet élève à travailler ce passage ?

Je n’ai pas de stratégie particulière. Si mon élève est un morceau de bois, quelqu’un qui a peu d’intériorité, je ne vais pas aller d’abord le chercher sur ce terrain-là. Si je sens qu’il y a un terrain favorable, alors oui, je vais le pousser vers l’émotion intense. Il y a des gens qui sont des bouts de bois, qui ressentent moins ou peu. A nouveau, tout est affaire d’équilibre. Quand il y a trop d’émotions, trop de sensibilité, il faut faire davantage travailler l’élève vers la maîtrise, vers l’intelligence du texte. Quand il y a moins de sensibilité, c’est là qu’il faut aller chercher les acteurs pour réveiller une zone endormie.

Croyez-vous au destin ?

Oui, je crois au destin. Le plus important : on est propriétaire des questions qu’on pose et on est dépositaire des réponses que l’on reçoit. Je signe les questions mais je reçois les réponses. Mais cette réponse n’est pas plus importante qu’une autre, ce qui est le plus important, ce sont les questions que cela sous-tend. Dans l’ordre de la créativité, j’assume les questions alors que les réponses sont celles du jour. J’assume le juste moment pour poser les questions. J’ai l’intime conviction que la réponse arrivera à temps. Le destin n’est que la moins mauvaise réponse qui arrivera.

Alors, devenir metteur en scène : choix ou destin ?

Je pense que c’est les deux. C’est vraiment lié à la conception de la vie que l’on peut avoir. C’est un choix parce que cela s’est imposé à moi. Ce n’est pas exclusif pour moi. Ca s’est imposé à moi et je réponds à une sollicitation. Si j’avais été moins gêné en math, j’aurais fait de l’astrophysique. Aujourd’hui, si on me dit : « C’est fini, il n’y a plus de metteur en scène, plus d’acteur », alors j’irais voir du côté de l’architecture, de l’environnement construit. Je trouve ça absolument passionnant. Et j’irais aussi voir du côté de la danse. L’expressivité privée du verbe dans la pureté du corps utilisé comme signe matériel, c’est l’absolu. J’irais là.

Vous pourrez voir les mises en scène de Michel Toman au Théâtre 2.21 à Lausanne du 5 au 21 janvier 2018 avec la pièce « Poésie du Gérondif » ainsi que du 15 au 26 août 2018 lors de la Fête du Blé et du Pain.