Le Ciel Attendra traite d’un sujet qui truste l’actualité, qui la vampirise. L’embrigadement de jeunes adolescentes par des rabatteurs pour des cellules terroristes. Un beau discours et voilà d’innocentes proies entre les mains de personnages vicieux et dangereux.
Avec ce film, Marie-Castille Mention Schaar parle d’embrigadement, de désarroi et propose deux rôles d’envergure pour Noémie Merlant et Naomi Amarger. Deux jeunes femmes qui campent parfaitement deux rôles épineux.
Propos recueillis par Mark Kuzmanic et Sven Papaux
Sven Papaux – Est-ce qu’une expérience telle que Le Ciel Attendra vous pousse à voir différemment le djihadisme ?
Noémie Merlant – Avant ce film, on commençait à en entendre parler. On ne connaissait pas bien et nous avons découvert le processus d’embrigadement. Qu’est-ce qu’était le dijhadisme et qu’est-ce qu’est réellement l’Islam. À côté de ça nous avons fait nos recherches personnelles pour connaître cette religion. Avec Le Ciel Attendra, l’idée était d’essayer de comprendre le phénomène. Pour moi, c’était important pour ne pas s’enliser dans la peur. Le film n’excuse pas, il ne justifie rien mais il essaie de comprendre ce qu’il se passe dans la tête de ces jeunes.
Naomi Amarger – Pour moi, le film m’a aidé à mieux comprendre ce qu’était le djihad. Quand Marie-Castille m’a parlé du projet, les informations étaient peu nombreuses sur l’embrigadement. Je pense qu’il fallait s’y intéresser pour être au courant et c’est un sujet sur lequel je n’étais pas au courant. J’étais pleine de stéréotypes. Je pensais que ça n’arrivait qu’aux jeunes issus des banlieues, aux jeunes qui étaient en échec scolaire ou hantés par des problèmes familiaux. Je faisais inconsciemment l’amalgame avec ces exemples. C’est tout le contraire. Le film m’a permis de faire la différence entre les musulmans et le djihadisme.
Mark Kuzmanic – Il y a une incroyable histoire croisée. Personnellement, la narration du film est parfaite quand nous voyons l’une d’entre elle s’extraire de cette embrigadement et l’autre qui s’y engouffre. D’ailleurs, le processus d’embrigadement de Sonia (ndlr: le personnage de Noémie Merlant) n’est pas expliqué dans le film. Pouvez-vous nous expliquer « le cas Sonia » ?
NM – Dans toute la préparation du rôle, j’ai participé à des groupes de parole et j’ai découvert ces parents qui ont des enfants embrigadés. Les milieux sociaux, les religions, de cultures différentes et ils ont pour la plupart donné énormément d’amour à leurs enfants. À partir de là, j’ai pris conscience que l’embrigadement pouvait toucher tout le monde. Sonia, elle, est déjà embrigadée et prête à commettre l’irréparable. Rappelons que dans sa tête, Sonia souhaite permettre à sa famille d’accéder au Paradis. Elle est totalement angoissée et fragilisée par son adolescence. Elle est complètement perdue devant la superficialité de notre société et, surtout, la mort la terrifie. C’est cette fragilité qui poussera Sonia à se retrouver embrigadée. C’est une jeune fille qui cherche des réponses et ce groupe de personnes malintentionnées lui fournira des réponses erronées.
SP – Plus on avance dans le film, plus nous avons l’impression de voir des personnes atteintes de schizophrénie. Comment expliquer cette déviance ?
NM – C’est semblable à une secte. Une fois qu’elles sont en processus de désembrigadement, elles se rendent compte qu’elles naviguaient dans le faux avec Daesh, et en même temps Daesh a brisé les repères qu’elles avaient dans la société occidentale. C’est une sorte de néant. Elles ne savent plus où est la vérité, elles essaient de revenir à la raison tant bien que mal.
SP – Et pour Mélanie, votre personnage, nous sentons une légère différence avec celui de Sonia. Sa réaction tient plus de celle d’une fille accro, droguée à la prière. Comment décrieriez-vous votre rôle ?
NA – C’est une addiction, c’est juste. Je pense que les traits peuvent s’apparenter à une toxicomane. Mélanie y voit quelque chose de galvanisant en regardant ces vidéos sur internet et très vite, elle ne s’en rend plus compte. Mélanie tombe petit à petit dans ce cercle vicieux. En même temps, elle tombe amoureuse du rabatteur. C’est totalement différent de Sonia. Sonia, elle, est plus dans la foie religieuse, tandis que Mélanie se convertit surtout par amour. La dépendance se crée et elle devient comme une marionnette facilement influençable.
NM – Les étapes de l’embrigadement sont à l’image des sectes. L’isolement, la dépendance du groupe, l’adhérence à leur idéologie. Ce sont des filles en quête d’absolu, elles cherchent à s’affirmer.
NA – De plus, quand on est en pleine adolescence, les réactions sont souvent disproportionnées.
« Ce sont des filles en quête d’absolu, elles cherchent à s’affirmer. »
MK – Comment expliquer qu’une fille aussi joyeuse et intégrée que Mélanie cède devant les sirènes de l’embrigadement. Pensez-vous que cela puisse arriver à n’importe qui ?
NA – J’ai tendance à croire que cela ne puisse pas arriver à n’importe qui. Il faut être très fragilisée. Les adolescents se posent tous des questions, c’est connu. Par contre, pour se faire embrigader, il y a un élément déclencheur. Au moment où Mélanie perd sa grand-mère, elle sent un vide, elle est tout simplement en manque d’affection. Elle se replie sur elle-même et ce garçon, arrivé de nulle part, saura l’amadouer par des compliments. Du reste, la relation que noue Mélanie avec ce garçon devient très forte. Il y a une dimension supplémentaire avec le fait qu’ils s’écrivent. La façon de communiquer est différente et Mélanie a l’impression de connaitre son interlocuteur.
SP – En rebondissant sur le fait que la relation est uniquement virtuelle, ne trouvez-vous pas que les réseaux sociaux jouent un rôle pervers dans l’histoire ?
NA – Si j’avais reçu une demande d’ami dans le même genre que le Mélanie, il est certain que je n’accepte pas. Il est vrai que les réseaux sociaux sont devenus un terrain de jeu particulièrement intéressant pour des personnes aux mauvaises intentions.
MK – Comment utilisez-vous les réseaux sociaux, à quelle fin ?
NA – Facebook reste pour le domaine scolaire. J’étudie le cinéma et je communique souvent avec les autres étudiants pour des projets. Je trouve très pratique pour pouvoir échanger des photos en groupe. Ensuite, j’aime bien Instagram pour partager des photos. Mais c’est certain que je reste sur mes gardes.
NM – Sur Facebook, j’aimais le fait de pouvoir rester en contact avec des amis qui ne vivaient plus dans la même ville que moi. Mais j’ai fait une sorte de burn-out avec ces réseaux sociaux. Je trouvais déprimant et ça m’a donné des crises d’angoisse. Mais dans notre métier, c’est compliqué de rester à l’écart des réseaux sociaux. Il faut partager et parler de notre travail. Notre métier est un métier d’image et il devient obligatoire de rester présent sur les réseaux pour se faire de la pub.
MK – Pensez-vous que le film puisse prévenir ce genre de situation ? Qu’est-ce que ces rôles évoquent en vous ?
NM – En essayant de comprendre, on peut faire avancer les choses. Ne serait-ce que de montrer les signes pour repérer les personnes qui sont sur le point de se faire embrigader. Si les gens commencent à les connaître, ces méthodes, ça peut en empêcher quelques uns de commettre une grave erreur. Le Ciel Attendra est un film pédagogique qui va au coeur des choses, qui passe par l’émotion.
NA – Une amie m’a confié qu’elle allait voir le film parce que j’y jouais. Autrement, elle n’y serait pas allée parce que ce sujet la déprime et il truste l’actualité du moment. C’est un film qui essaie d’apporter des éléments de compréhension pour lutter contre ce phénomène qui brise des vies. Je pense que le film développe et donne de l’espoir si nous nous référons au parcours de Sonia.
« Le Ciel Attendra est un film pédagogique qui va au coeur des choses, qui passe par l’émotion »
SP – Si on s’intéresse à la cause féminine, ne voyez-vous pas un « pas en arrière » de ces jeunes filles qui se laissent aussi facilement amadouer ?
NM – Chez les djihadistes, la femme est soumise. C’est vrai que c’est dur de se rendre compte de la place et la condition de la femme dans ces pays. Le voile efface l’identité des femmes, pour n’en faire qu’une entité. Mais les femmes qui le portent, se sentent protégées des regards.
NA – Durant l’adolescence, il y a une certaine appréhension de la femme extravertie. Celle qu’on appelle la femme moderne.
MK – Et inversement, comment se passe l’embrigadement, durant l’adolescence, pour les garçons ?
NM – C’est plus délicat d’en parler parce qu’on sait que le processus est totalement différent. Pour les filles, c’est plus l’amour, l’humanitaire et l’injustice.
NA – Pour les garçons, le processus démarre aussi par internet. Les rabatteurs vont plus jouer sur l’aspect héroïque, d’être admiré par ses proches. Ensuite, il y a ce changement d’identité qui peut ressembler à un nouveau départ existentiel. Les garçons sont prédestinés à se battre dès qu’ils arrivent en Syrie. Pour les filles, l’objectif premier est d’aider les gens.
MK – Pensez-vous que Mélanie serait prête à tuer à son arrivée ?
NA – Non, je pense qu’elle ne pourrait pas.