Interview | Christian Vincent

Rencontre avec un homme intelligent et humble, tout comme son film. Une discussion passionnante et drôle où les sujets étaient nombreux. Le réalisateur Christian Vincent nous guide sur l'élaboration de son film "L'Hermine", dans les moindres détails.

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"L'Hermine" de Christian Vincent - Image droits réservés

Notre critique du film L’hermine se trouve ici.

Propos recueillis par Sven Papaux

L’immersion dans cette cour d’assises semble détaillée. Comment vous êtes-vous imprégné de l’ambiance ? Comment vous avez abordé le sujet ?



J’ai beaucoup observé, c’est une de mes qualités.

Avez-vous assisté en personne à des audiences ?



Tout a commencé par ça, je ne connaissais rien au monde de la justice. À partir du moment où je cherchais un rôle pour Fabrice Luchini, j’ai eu l’idée de faire Fabrice en magistrat, voire en président de cour d’assises. Il fallait que je vois ce qu’était ce milieu, ce métier. Je n’avais jamais mis les pieds dans un tribunal et la première chose qu’on avait décidé avec mon producteur, c’était de rencontrer un président de cour d’assises. C’est ce qu’on a fait et j’ai assisté à un premier procès à Bobigny (en banlieue parisienne) dans des conditions assez favorables puisque j’étais assimilé à la cour. Cela veut dire que nous avions demandé aux différents partis s’ils ne voyaient pas d’objections à ce que j’assiste au procès dans ces conditions là. Tout le monde était d’accord et chaque fois qu’il y avait suspension de la cour, je me levais avec la cour. Et pour le matin, j’arrivais par derrière, je voyais les gens se croiser dans les bureaux, se parler, préparer la journée, je voyais les jurés arriver pour se faire des cafés et discuter entre eux. À vrai dire, j’allais souvent déjeuner avec eux. Donc j’ai pu assister à ça, donner tous les éléments pour traduire au plus juste ce qu’on trouve dans les coulisses d’un procès. C’est seulement de l’observation, je n’ai pas inventé grand chose.

«C’est seulement de l’observation, je n’ai pas inventé grand chose.»

On sent le souci du détail dans votre film. Nous avons presque le sentiment que vous avez été à la place du président de la cour d’assises. Est-ce que Fabrice Luchini a établi la même démarche que vous pour entrer dans le rôle Xavier Racine ?

Pas autant que moi! (Rires)



Pas autant que vous ?

Fabrice, c’est un acteur aux antipodes de la technique « actor studio ». Ce que je veux dire par là, ce sont ces acteurs qui se mettent dans la peau des personnages, font des stages durant six mois, qui perdent vingt kilos, Fabrice a horreur de ça! Quand on lui demande de jouer tel ou tel métier, il considère qu’il n’a pas à voir plus que ça. Néanmoins, sur ce rôle, il a eu envie de venir assister à un procès. Il est juste venu une demi-journée et c’était très important, car il ne comprenait rien à la justice et n’était pas sûr avec exactitude du rôle du président de la cour d’assises, même après la lecture du scénario. C’était bien qu’il vienne, car un président de cour d’assises doit faire circuler la parole et avoir une totale connaissance du dossier. De plus, le président doit être tenu à la plus grande neutralité possible. C’était plutôt bien que Fabrice soit venu, comme il n’est pas toujours dans la plus grande neutralité possible. Mais cette observation était bénéfique. D’ailleurs, Fabrice ne voulait pas assister à un procès. Avec le producteur, nous lui avons dit que, pour le film, ça serait bien qu’il voit à quoi ressemble un vrai procès. C’était très utile.



C’est vrai que cet univers n’est pas facile à décrypter.

Oui, c’est un monde avec des codes, des règles et des passages obligés. Il est impossible d’improviser.

Pour nous, les Suisses, c’est intéressant de se plonger dans le système pénal français, s’interroger comment fonctionnent les tribunaux en France.

Quand je fais un film sur la justice, j’apprends comment fonctionne la justice. Tout ce que je fais, ce que j’apprends, j’ai envie de le faire savoir au public. Alors c’est vrai que le film a un côté pédagogique. On apprend des choses sans que ce soit au détriment de l’écriture du scénario. Je savais que nous allons suivre des personnages. En premier lieu, nous allons accompagner un personnage campé par Fabrice Luchini, l’accompagner de la veille d’un procès jusqu’au terme du procès, qu’on allait le montrer dans son travail. À partir de ça, il me fallait une histoire, il me fallait un peu de romanesque. Il fallait que je trouve un équilibre entre l’histoire du procès et l’histoire romanesque, il ne fallait pas que le procès prenne toute la place. Voilà la chose la plus difficile à doser dans l’écriture du scénario. De plus, je souhaitais qu’on s’intéresse à ces hommes et ces femmes qui ont une lourde responsabilité; celle de juger un homme ou une femme.

Outre la pédagogie de votre film, la thématique des classes sociales est le point d’orgue de votre film.



Ce qui m’intéressait dans un tribunal, c’est cet aspect des classes sociales. Dans un tribunal, c’est un des rares endroits où nous retrouvons la totalité des classes sociales. On y rencontre de tout, même des personnes proches de l’analphabétisme. Rien que dans le box des accusés, la moitié du temps, ces gens viennent d’un milieu défavorisé. Il y a une espèce de brassage de la population. C’est presque une photographie de l’état de la France quand on se rend dans les tribunaux.

«Dans un tribunal, c’est un des rares endroits où nous retrouvons la totalité des classes sociales.»

Vous ne trouvez pas que le président d’une cour d’assises est un être méprisé ? C’est ce que vous semblez montrer dans votre film.

Quand on fait un sondage des professions que les gens aiment le moins, en premier lieu, ce sont les journalistes qui arrivent le plus fréquemment en tête et les magistrats arrivent directement derrière. (Rires) C’est normal, ils punissent, ils dictent la loi. C’est normal qu’ils ne soient pas populaires, mais c’est parce qu’ils sont mal connus, à mon avis. C’est difficile d’être juge ou magistrat, car on vous reproche d’être trop laxiste ou trop dur. C’est compliqué, voire très compliqué.

C’est un métier où l’exposition à la critique est forte. 



Oui, vous savez, c’est difficile de prendre des décisions. Là, les jurés qui sont tirés au sort ont une responsabilité écrasante.

Alors que, peut-être, ils n’ont jamais eu de telles responsabilités.

Exactement, du coup, c’est bien d’être mis devant de telles responsabilités au moins une fois dans sa vie. C’est très facile de critiquer ce métier, mais une fois lancé dans l’arène, c’est autre chose. C’est tout ça que j’ai voulu montrer, cette responsabilité. Autant vous dire, plusieurs jurés sont complètement chamboulés face à la cour, ils préféreraient être ailleurs. Par contre, certains, après le jugement, sont amenés à dire que c’était un grand moment de leur vie, voire unique. Pour d’autres, c’est traumatisant…

Traumatisant ?

L’idée d’envoyer quelqu’un en prison peut hanter. Un jour, j’étais parmi les jurés et une fille ne pouvait pas concevoir l’idée d’envoyer quelqu’un en prison, ça la mettait hors d’elle!

Avec la thématique de la vie privée qui empiète sur la vie professionnelle à un moment du film, l’idée était de garder ce côté romanesque ou l’avez-vous vécu vous-même, ou vu, durant ces procès ? Est-ce complètement fictif ?



Complètement! Il fallait qu’il se passe quelque chose dans ce procès qui n’appartienne pas à l’affaire traitée. Je me suis dit que statistiquement c’est possible, dans une cour d’assises, que parmi les membres du jury, il y ait des gens que le président connaisse. C’est arrivé et ce n’est pas interdit. Un peu de sentiment dans ce film de brutes! (Rires)

L’apport de la fille de Ditte – interprété par Eva Lallier – donne une autre dimension à la romance et un certain humour au film.

En réalité, ce n’est pas une véritable histoire d’amour. Lui est dingue d’elle et ce n’est manifestement pas réciproque, mais pour faire exister dans la tête du spectateur une éventuelle idée de romance, il fallait une troisième personne, et c’est la fille. C’est elle qui fait exister le couple.

C’est intéressant ce que vous dites, je n’avais pas vu sous cet angle le rôle de la fille. 



Oui, c’est grâce au côté curieux de la fille que l’idée émerge petit-à-petit. Xavier et Ditte sont comme deux adolescents pris en faute. C’est comme ça qu’on fait exister la petite histoire, même si elle n’existe pas réellement.

Fabrice Luchini était le premier choix ?

Ah oui! Au départ, il y avait Fabrice Luchini, c’était écrit pour lui. Je me suis dit: « Qu’est-ce que je peux lui confier comme rôle? ». C’est mon producteur qui a émis l’idée de faire un film avec Fabrice Luchini.

Fabrice Luchini a un peu le physique du président d’une cour d’assises. Vous ne trouvez pas ?

La robe lui va super bien. Pour la première fois, quand il a essayé les robes, j’ai tout de suite vu que ça lui allait parfaitement.

Vous avez l’air d’apprécier les personnages au caractère fort. Si je prends votre film précédent, Les saveurs du palais, Catherine Frot est un fort caractère, tout comme le personnage de Fabrice Luchini. C’est primordial dans vos films ?



Je ne sais pas. C’est vrai que dans Les saveurs du palais, c’est limite une emmerdeuse. Là, je partais dans l’optique de ce que le public éprouve pour Fabrice. C’est un sentiment ambivalent, car Fabrice Luchini est à la fois adoré et détesté. Donc il fallait partir de là. Il fallait en faire un personnage antipathique, comme ça, ça va plaire à ceux qui ne l’aime pas. (Rires) Les personnes qui n’aiment pas Luchini vont dire: « ah vous voyez, il est ignoble ce personnage, c’est pas étonnant qu’il joue un personnage de la sorte. » Mais en une heure et demi, j’arrive à faire glisser le personnage dans une certaine sympathie. Mais le début, le personnage de Luchini se pose comme un être mal-élevé, grossier et imbuvable.

«Fabrice Luchini est à la fois adoré et détesté.»

Pouvez-vous nous parler de vos projets futurs ?



Là, j’ai écrit un scénario que j’espère tourner en mars. C’est encore un film qui se passera dans le nord de la France, qui met en scène une jeune marocaine de 25-26 ans. Son malheur, c’est qu’elle est très belle. Son apparence dénature complètement les rapports qu’elle entretient avec tout le monde et un jour, un riche héritier va flasher sur elle. Cet homme, aussi riche qu’il est, ne va pas apprécier le refus de cette jeune femme. Voilà l’histoire que je traite en ce moment.

Pourrait-on savoir qui va camper le rôle de la jeune marocaine ?



Elle est inconnue. (Rires) Non, je l’ai trouvée mais elle n’est pas connue du grand public. D’ailleurs, j’espère qu’elle va accepter de faire le film. Ce que je peux vous dire, c’est qu’autour d’elle il y aura des acteurs confirmés. Et pour tout vous dire, je suis en train d’écrire un autre scénario. Je vais observer ce qu’il se passe à la maternité de Saint-Denis. Je me dis qu’il y a un truc à faire dans le milieu de la maternité.

Bande-annonce: