Récit engagé, mélangeant à la fois fiction et documentaire, « Red Rose » revient sur les soulèvements populaires de 2009 en Iran. L’histoire de Ali et Sara, deux générations et deux visions de l’Iran divergentes, se retrouvent entre quatre murs pendant les événements de 2009. Un récit d’amour, mais surtout une histoire de trajectoires individuelles qui ont fait et continuent de faire l’Iran contemporain.
Sepideh Farsi nous en dit d’avantage sur Ali et Sara, sur l’activisme en Iran et sur ses espoirs et craintes concernant le futur du cinéma iranien.
Propos recueillis par Milena Pellegrini.
« Red Rose » raconte l’histoire d’amour entre deux personnes qui permet d’aborder une vaste quantité de sujets concernant l’Iran contemporain. Notamment la relation entre deux générations, incarnée par Sara et Ali. Comment décririez-vous cette relation intergénérationnelle en Iran ?
Oui, c’est vrai que les deux personnages appartiennent à deux générations différentes. Le personnage masculin, Ali, appartient à une génération dont l’expérience est un peu similaire à la mienne, c’est à dire des gens qui étaient adolescents ou jeunes adultes pendant la révolution de 1979. Il y a une expérience politique très forte, suivie par une répression politique très forte car tout les gens qui étaient dissidents, qui pensaient autrement, qui n’étaient pas forcément religieux, tous ont été réprimés très sévèrement. Donc Ali, le personnage masculin, vient de cette génération. Après il n’y a eu, depuis les années 80, pendant la guerre Iran Irak et ensuite, aucun mouvement politique autorisé en Iran. Donc nous avons eu plusieurs générations sans expérience politique aucune. C’est-à-dire que suite à ces gens qui ont vécu la révolution, la guerre et la répression, après il y a eu un vide d’activisme. Non pas qu’il n’y avait plus d’activistes, mais soit ils étaient réprimés ou soit ils étaient à l’étranger. Nous avions de jeunes gens qui avaient zéro expérience politique. Le personnage féminin, Sara, appartient à cette génération qui, en 2009, pour la première fois, a vécu un soulèvement massif post-électoral dans la société iranienne. C’est vrai que leur expérience était extrêmement différente, d’où à la fois l’attraction et la tension et la divergence de point de vue.
Le personnage de Sara incarne une jeune militante, utilisant des nouveaux moyens de communication pour à la fois communiquer et transmettre ses idées. Comment avez-vous construit ce personnage ? Avez-vous rencontré des jeunes militantes ? Avez-vous utilisé des éléments de votre propre expérience ?
Alors il y a un peu des deux. J’ai toujours été politisée, je fais du cinéma, c’est ce que je fais, mais en tant que citoyenne, qu’individu, je participe toujours. Que ce soit l’Iran, la France ou le monde en tout cas, il y a des causes qui me parlent et je prends parti. En 2009, je venais juste de quitter l’Iran, je venais de finir le tournage d’une autre fiction, je suis partie une semaine avant l’élection. J’étais à Paris et j’ai suivi, comme beaucoup d’autres Iraniens, les événements à distance. On a relayé le mouvement, on était collé aux ordinateurs 16-17 heures par jour. Sur Twitter ou sur Facebook ou par téléphone quand les réseaux sociaux étaient coupés, tout ce que vous pouvez imaginer. C’était mon expérience personnelle. Après évidemment pour faire des recherches, pour construire le personnage, j’ai rencontré beaucoup de jeunes, j’ai lu beaucoup. J’ai parlé à beaucoup de gens, beaucoup de femmes, car il y avait une présence prépondérante féminine. C’était une nouveauté dans ce mouvement. Il y a un personnage qui a réellement existé, je ne sais pas si c’est un homme ou une femme, qui tweetait, qui a été beaucoup suivi. Je ne l’ai pas connu mais j’ai suivi tous ses tweets et ceux qui sont dans le film sont pratiquement tous les siens.
D’où viennent les images d’archives que vous avez introduites dans le film ?
De YouTube ! Dans les 24 heures qui ont suivi l’élection, le régime iranien a demandé aux journalistes étrangers de partir, donc il n’y avait plus de journalistes étrangers et les Iraniens n’arrivaient pas à couvrir car cela était trop dangereux. Les citoyens ont commencé à filmer et à envoyer sur les réseaux sociaux leurs films de façon anonyme. Il y a eu une masse invraisemblable de films envoyés. Le phénomène de «citizen journalism » est vraiment parti d’Iran en 2009. Je pense que c’est le premier pays où cela s’est pratiqué comme un phénomène de masse.
Dans vos films vous n’hésitez pas à aborder des sujets comme la séduction, la consommation d’alcool, les relations sexuelles hors-mariage. Avez-vous eu des retours de l’Iran ? Savez-vous si vos films sont vus en Iran ? Avez-vous reçu des retours ou des menaces de la part du gouvernement ?
Mes films, à chaque fois qu’ils passent dans un festival sont accueillis très chaleureusement par la communauté iranienne. Que ce soit à Toronto ou à Göteborg, là où il y a des fortes présences iraniennes. Un bon nombre de mes films ont été projetés sur BBC Persan par exemple et les Iraniens d’Iran ont pu les voir. J’ai des retours positifs par Facebook, par mails, par les gens qui arrivent me trouver. Des retours officiels par le gouvernement, pour mes autres films, je n’ai pas eu de réactions directes. Sur « Red Rose » par contre, sans avoir vu le film, il y a eu je ne sais pas combien d’articles d’attaque en vue de la bande-annonce du film dans les journaux officiels qui ont insulté l’actrice, moi, etc… Je n’ai pas reçu de menaces mais le film a été attaqué.
Retournez-vous souvent en Iran ?
J’y retournais très souvent jusqu’en 2009 et c’était mon dernier voyage. J’aimerais bien mais je pense que j’aurais de sérieux problèmes donc je ne préfère pas.
Ce soir vous présentez votre film dans la section « Fiction et droits humains ». Selon vous, quel impact peut jouer le cinéma dans la réalisation de ces droits ? En général et plus particulièrement en Iran ?
Je ne mets pas réellement de frontière entre œuvre fictionnelle ou documentaire. D’ailleurs dans mon film les images documentaires, même si de courtes durées, apportent une force, une légitimité aux images fictionnelles. Je trouve que le cinéma est un medium qui peut porter des paroles et des propos et aider des causes. L’audiovisuel et le cinéma touchent beaucoup de gens, surtout les plus jeunes générations qui sont plus sensibles à l’image. Cela est important dans un pays comme l’Iran. En faisant ce film je savais que je ne pourrai plus retourner en Iran jusqu’à ce qu’il y ait un changement conséquent. C’est la même chose pour mes comédiens iraniens qui ne peuvent plus y retourner. C’était un choix fort de carrière et un choix fort humain de participer à ce film. D’autres Iraniens m’ont aidée, ils ne sont pas cités pour ne pas avoir de problèmes. C’était un engagement. C’est important qu’à la fois les gens à l’extérieur de l’Iran voient ce qui se passe derrière les portes en Iran. Et pour les Iraniens aussi, qu’ils voient une représentation visuelle de leur vie. Je reçois beaucoup de message de jeunes qui me disent « Enfin on parle de la jeunesse ! ». Ça les touche beaucoup que l’on brave l’interdit et la censure. Et aussi dire à mes collègues que l’on peut faire des films autrement. Je ne l’ai pas tourné en Iran mais c’est quand même un film iranien, il y a une âme iranienne.
« Il y a une sorte de schizophrénie dans la création cinématographique en Iran qui va de pair avec la schizophrénie de la société. »
Quels sont vos espoirs pour le cinéma iranien ? Comment envisagez-vous le futur ? Les restrictions donnent-elle d’avantage l’envie de créer aux jeunes, de braver les interdits de façon engagée ou au contraire, étouffent-elles cette créativité ?
C’est paradoxal, les deux aspects sont présents. À la fois cela étouffe, mais d’un point de vue créatif parfois la censure donne des ailes et aide à trouver des moyens de contourner, de braver les interdits. En Iran c’est allé trop loin, les gens ont fait trop de compromis. Il y a une sorte de schizophrénie dans la création cinématographique en Iran qui va de pair avec la schizophrénie de la société. Ce n’est pas que je n’ai pas d’espoir, la création va continuer. J’attends plus des jeunes, qu’ils trouvent des moyens propres et personnels de s’exprimer plus librement plutôt que de baisser la tête. Un autre film a été présenté à Berlin et typiquement, comme dans tous les films du cinéma iranien la femme se couche à côté de son mari avec le foulard et son manteau. C’est comme si c’était normal. C’est hallucinant, c’est devenu un code. Je pense que quelqu’un qui ne sait pas doit se dire « ils sont bizarres les Iraniens ! ». Ce n’est pas cohérent, ce n’est pas naturel ! Ça agit sur le jeu des comédiens, sur la mise-en-scène. On a du mal à diriger les comédiens quand on ne peut pas les toucher, quand eux ne peuvent pas se toucher, quand tout est interdit. Cela pèse. Sur les 3 films présentés à Berlin cette année, tous se passaient soit dans un appartement, soit dans une voiture. Le choix de voiture ou d’espaces claustrophobiques traduit un phénomène de restriction qui commence à peser sur la création.
Un grand merci à Madame Farsi pour le temps consacré et pour sa gentillesse.
Milena Pellegrini