Made in France, Black, Salafistes: Ces histoires qu’on ne veut pas montrer

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Salafistes : image droits réservés © Margo Films Made in France: image droits réservés © Pretty Pictures Black : Image droits réservés © Kinepolis film ditribution

Le film belge Black de Adil El Arbi et Bilall Fallah sur les bandes urbaines ne sortira finalement pas en France. La sortie en salle de Made in France de Nicolas Boukhrief, après avoir été repoussée, a finalement été annulée.  Le documentaire Salafistes a été interdit au moins de 16 ans après un vif débat qui avait révolté ses réalisateurs François Maroglin et Lemine Ould M. Salem. Les raisons de ces décisions sont variées, mais derrière elles se cache un malaise social évident. Des décisions paradoxales dans une période où la liberté d’expression semble être le maître-mot. Entre préserver l’ordre, éviter de raviver des traumatismes et se défiler face à certains débats publics, les choix faits autour de ces trois films nous rappellent que les salles de cinéma sont bel est bien une arène du politique.

Black

Le film, adaptation des livres de l’écrivain Dirk Bracke, est un Roméo et Juliette des temps modernes mettant en scène une histoire d’amour impossible entre deux jeunes Bruxellois membres de deux bandes urbaines différentes: le Black Bronx de Matonge et les 1080 de Molenbeek-Saint-Jean. Le long-métrage a été présenté et primé dans plusieurs festivals internationaux (TIFF, Festival du Film de Gand). Black est cependant interdit au moins de 16 ans en Belgique pour ses scènes de violence. Lors d’une projection en Belgique, des jeunes de moins de 16 ans auraient acheté des billets pour une autre film pour ensuite se faufiler dans la salle qui projetait Black. La politique a alors dû intervenir après que les jeunes, refoulés de la séance, aient causé des troubles. Des bagarres avaient également éclaté lors des premières projections du film en Belgique. Ces incidents expliqueraient le refus des exploitants français à projeter le film selon la directrice de Paname Distribution Laurence Gochet. Une auto-censure des exploitants mélangée à une interdiction légale qui complique la diffusion explique alors le refus de projeter Black. Le film sera cependant prochainement disponible en e-cinéma.

Salafistes

Initialement interdit au moins de 18 ans suite à une décision prise par la Ministre de la culture ayant suivi les conseils de Commission de classification des films, le documentaire de François Maroglin et Lemine Ould M. Saleme plonge le spectateur dans le monde du djihadisme au Mali. En déclarant que le film était d’une « extrême » violence et qu’il nécessitait une certaine maturité pour être vu, la ministre signait la « mort du documentaire »  selon ses réalisateurs. La démarche des cinéastes consistent à montrer ces images de violence pour contrer la propagande de l’Etat Islamique. Approche critiquée car pouvant, à l’inverse du but visé, inciter certains jeunes à se radicaliser. Finalement, le film a été interdit au moins de 16 ans, ce qui représente une victoire pour les réalisateurs qui souhaitent que leur film soit justement vu par un public jeune. Ce récent débat s’inscrit dans la difficulté à mettre en place une « contre-narrative » face à celle proposée par l’Etat islamique. Ce paradoxe avait déjà fait polémique lorsque un journaliste de Vice avait reçu l’autorisation de la part du responsable de la communication de l’Etat islamique de tourner son documentaire au coeur de l’organisation. Le documentaire se transformait alors, par un effet pervers, en vidéo de propagande. Le dilemme : montrer certaines images pour sensibiliser les jeunes ou les censurer afin de ne pas servir la cause des recruteurs.  Une polémique qui risque d’attiser les curieux qui verront Salafistes et cette fois-ci, sans encadrement approprié.

Made in France

Nicolas Boukhrief raconte l’histoire de Sam, journaliste qui infiltre une cellule djihadiste préparant des attentats dans Paris. Considéré comme «stigmatisant, anecdotique ou anxiogène» par les investisseurs publics qui ne débloquent pas de fonds pour la production. Finalement soutenu par Canal, le film doit sortir le 18 novembre. Après les attentats du 13 novembres, sa sortie est repoussée pour janvier 2016 pour ensuite être annulée car les salles refusent de programmer Made in France. Nicolas Boukhrief explique lors d’un interview à Télérama  ne pas en vouloir aux exploitants mais que: « Je ne juge personne mais cette peur irrationnelle qui saisit tout le monde, est précisément ce que recherchent les terroristes. Il est peut-être encore trop tôt pour la réflexion, le traumatisme est encore présent chez la plupart des gens ». C’est donc dans une double logique que le film n’a pas été programmé: celle d’éviter de raviver des traumatismes mais également celle d’éviter des réactions violentes. Cependant, Made in France est disponible depuis le 29 janvier en e-cinéma.

Ces trois exemples illustrent les rapports de force qui constituent les circuits de l’industrie du cinéma. Entre distribution, exploitation et pouvoirs publics, les films qui sont projetés et ceux qui ne le sont pas sont le résultat d’un long parcours entravé par d’autres principes que celui du mérite. Le silence peut s’avérer révélateur. Une société se définit également par les images qu’elle décide de ne pas montrer. Les trois films matérialisent des malaises sociaux et leur interdiction sont à la fois l’affirmation de leur existence et du déni qu’il en découle.

Car ces films, sans être vus, ont été discutés –  bien que discutés soit un grand mot – autour de la polémique et du buzz. Leur potentiel d’être les initiateurs d’un réel débat public sur ces maux sociaux – auxquels la culture et le cinéma peuvent même s’avérer des médiateurs et des remèdes – a été neutralisé par un choix de s’incliner. Ces films représentent la mise-à-l’écran de perceptions de la réalité.  Les taire ne peut jamais être la bonne solution mais les discuter peut le devenir.

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Diplômée en Etudes du développement international, je rejoins l'équipe du Billet en janvier 2015. Films engagés, indépendants, je suis à la recherche d'un cinéma qui perturbe le sens commun et heurte la banalité. Parallèlement, je travaille sur différentes recherches académiques sur le cinéma et la mémoire ainsi qu'au sein du bureau du festival Cully Jazz.