Rencontre | Diaz (MBS)

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En 1993, MBS (Le Micro brise le Silence) naît dans le quartier populaire de Hussein-Dey dans la banlieue Est d’Alger. Par ses textes conscients, le groupe devient l’icône d’un rap engagé et sans concession, voix des détresses de la jeunesse algérienne. Au début des années 2000, Diaz (Fahird Belhoul) rejoint le groupe. Toujours réunis autour de projets communs, les membres de MBS font également leur chemin en solo…

Cet été, sur la terrasse du Bar du Peuple à Marseille, nous rencontrions Diaz. Il nous a raconté ses débuts dans le rap mais surtout ses projets actuels et plus précisément celui de la plateforme multimédia El Houma, qui signifie « Le quartier » en arabe. Avec un album attendu pour septembre, les projets de Diaz sont vastes mais surtout prometteurs.

Mise en ligne la semaine passée, El Houma souhaite regrouper et donner l’espace à des textes, des vidéos, des sons et des images. Son premier article est dédié aux groupes de rap grecs Antipoina et Social Waste. À l’image du projet de la plateforme, le morceau présenté est un hymne aux connexions méditerranéennes et à la force de l’art de rue:  « Le Hip-Hop Méditerranéen se ballade dans les ruelles de Marseille, marchant au rythme des sonorités du Maghreb. A Tunis il déclenche des révoltes populaires et au Caire et à Damas il colle à la peau des dictateurs. Il joue du luth en Crête, de la cornemuse à Elikonas pendant qu’à Seville une guitare espagnole le joue en mode « allegro ». Le projet est « internationaliste, c’est pourquoi les textes sont traduits en plusieurs langues afin que le lecteur puisse saisir le sens de la musique. À la dimension immatérielle du projet s’ajoute l’espace matériel créé par Diaz dans la banlieue d’Alger visant à réunir artistes et habitants autour de l’art de rue.

Entre réappropriation culturelle, engagement citoyen et volonté de tisser des liens, le projet El Houma s’inscrit dans des impulsions bien plus larges que celle de l’amour de la musique… Retour sur la rencontre d’un artiste engagé.

Propos recueillis par Milena Pellegrini.

Comment as-tu commencé la musique?

C’est venu très naturellement, je ne me souviens plus exactement. J’aimais beaucoup la musique mais je n’en faisais pas, pour moi ce n’était pas accessible. Je n’avais pas quelqu’un, ni dans ma famille ni dans mon quartier, pour me parler de musique. J’en écoutais beaucoup et dans les années 90, quand j’avais 14 ans, j’ai commencé à écrire des textes. J’ai débuté pour le plaisir, parce que le rap c’était pas quelque chose de fréquent. Même en France c’était pas encore ancré dans la culture. J’ai commencé à rencontrer des gens entre Alger et Tizi Ouzou en Kabylie qui faisaient la même chose. J’ai fait beaucoup de rencontres, dont le groupe MBS. Je faisais partie d’un collectif – « Secteur H », du quartier Hussein-Dey, MBS nous a initiés aux sons et on faisait des scènes ensemble.

Tu mélanges beaucoup d’influences, qu’est-ce qui t’inspire le plus?

Tout ce qui est la musique traditionnelle, spécialement le Chaâbi et la musique kabyle. J’ai écouté beaucoup de musique populaire quand j’étais petit, je pense particulièrement à Amar Ezzahi. Ensuite j’ai écouté de tout, du soul, du jazz, du rock et le retour aux sources s’est fait naturellement. En ce qui concerne les textes, j’ai beaucoup écouté des anciens comme particulièrement Matoub Lounes qui a su lier poésie, engagement citoyen et politique. Pour moi la musique n’a de sens que comme ça.

Je ne fais pas de la musique pour la musique, c’est un acte.

Tes textes sont politiquement engagés. Quel est ton rapport avec le gouvernement ?

Des soucis, on en a toujours mais pas directement : c’est de la censure indirecte. On ne passe pas en radio, on ne passe pas en télé, on ne sort pas de disque dans le circuit classique. On nous met toujours des bâtons dans les roues, mais je n’ai jamais eu de problèmes judiciaires.

Traduction d’un extrait du texte de  #Civil fi bled el 3askar (#Civil au pays de l’armée)

« Qui est le fou assez fou pour dire à ces fous qu’ils sont fous?
Moi je ne crois qu’à l’évidence, ni en celui qui est là, ni en celui qui le remplacera
Reste en lien avec l’éternel et laisse-les jouer leur chanson
Car ceux qui dansent sur cette chanson ne veulent pas s’arrêter »

Ta musique s’exporte-t-elle?

Oui. Beaucoup dans le monde arabe et en France il y a beaucoup de gens qui m’écoutent. Le texte en algérien empêche les gens de comprendre toute la dimension de mon rap. Certaines personnes aiment le rap même s’ils ne comprennent pas le texte, pour ses influences, ses flows. Mais le texte est la partie la plus pensée et la plus construite de ma musique.

Où en est la scène hip-hop en Algérie?

Ca bouge beaucoup, il y a beaucoup de rap, beaucoup de rappeurs, mais il n’y a pas de scène. Il n’y a aucun espace pour le rap, pour le break. Il y a deux ou trois salles qui ne sont pas adaptées à toutes les musiques. Ca se passe en dehors de tout circuit, c’est une passion et beaucoup de rappeurs se basent sur internet. Pour moi c’est bien, que ça se déroule ainsi, la musique doit être sans concession. On ne fait pas ça pour gagner de l’argent. Il y a beaucoup plus de richesse, de profondeur dans le texte, d’intimité dans l’écriture et j’aime ce côté là. On met tout le monde à égalité car la production n’est pas question de moyens. Si tu es un bon rappeur, tu rappes dans ton quartier et tu peux être écouté par tout le monde. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

Comment se passe la production des albums en absence de cette scène ?

La débrouillardise. Système D. On connaît quelqu’un qui a une carte son, quelqu’un d’autre qui fait du son et on trouve des solutions. 

Est-ce qu’il y a beaucoup de solidarité entre les différents artistes ?

Oui, il y a beaucoup de collectifs et de connexions qui se forment. Entre le Sud et le Nord, entre Oran et Alger. Dans le rap algérien, tu peux trouver un prof de français rappeur, un avocat rappeur : ça reste une passion et c’est pour cela que c’est autant riche et authentique.

Est-ce qu’il y a des connexions qui se font avec d’autres scènes à l’étranger?

Oui ! On essaye de bouger un peu. En Grèce, à Marseille. On essaye beaucoup de faire ce lien méditerranéen. On a des connexions avec la Palestine, le Liban, la Syrie.

Tu as toujours des projets avec MBS?

Oui bien sûr. On se rencontre pas souvent car un vit à Londres l’autre à Paris, moi à Alger. C’est pas évidement d’être ensemble, on a chacun des projets personnels. Mais on fait des morceaux, on travaille toujours ensemble.

Donquishoot est également membre de MBS. « La Bataille d’Alger » reprend un sample d’Ennio Morricone « Tema di Ali » bande-originale du film « La Bataille d’Alger » de Gino Pontecorvo.

Et tes projets futurs?

Je travaille sur un projet depuis un an qui s’appel El Houma (le quartier en arabe). C’était le nom de mon album que j’ai commencé il y a 10 ans. Chaque année, je fais un morceau ou deux. Cette année, je vais sortir l’album mais pas uniquement. J’ai créé une plateforme multimédia qui est destinée à toute cette culture urbaine et populaire et la plate-forme s’appel aussi El Houma. On va la lancer en septembre avec la sortie de l’album. J’ai aussi créé un espace à Alger où il y a plein d’artistes et d’habitants du quartier qui passent. On essaye de créer une solidarité populaire autour de l’art de rue. On l’a mise en place avec un ami à moi, Luc Chauvin, qui a écrit sa thèse sur le rap algérien. On a monté des dossiers, cherché des financements pour concrétiser le projet et on le lancera en septembre. Pour les financements ça n’a pas été facile, heureusement que la région Paca nous a soutenus. On a eu ce financement suite à un appel à projet sur les médias alternatifs et la liberté d’expression.

Graff réalisé par l'artiste "SER DAS" dans les locaux de El Houma.
Graff réalisé par l’artiste « SER DAS » dans les locaux de El Houma à Hussein-Dey.

Retrouvez une série de vidéos sur le Street art en Algérie réalisées par KMBL ici.

Retrouvez aussi la table-ronde qui a eu lieu au MUCEM en septembre 2015 «  Une jeunesse entre colère et création » avec Olivier Cachin (journaliste), Nicolas Puig (anthropologue), Farid El Asri (islamologue), Diaz (rappeur algérien) et Osloob (rappeur et producteur palestinien) ici

Ecoutez également : 

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Diplômée en Etudes du développement international, je rejoins l'équipe du Billet en janvier 2015. Films engagés, indépendants, je suis à la recherche d'un cinéma qui perturbe le sens commun et heurte la banalité. Parallèlement, je travaille sur différentes recherches académiques sur le cinéma et la mémoire ainsi qu'au sein du bureau du festival Cully Jazz.