Principalement connu pour sa réalisation de Mary, Queen of Scots en 2013, Thomas Imbach présente ici son premier film réalisé depuis cet opus. En ressort cette pépite qu’est Glaubenberg, une belle surprise qui revigore le cinéma suisse.
Avant de parler du film en soi, l’histoire présentée est une adaptation moderne d’une histoire attribuée à la plume du poète antique romain Ovide: celle de Byblis, amoureuse de son frère jumeau Caunos. Enfants de Dieux, Byblis réalise à quel point son amour envers son frère est inapproprié, mais ne peut plus retenir ses sentiments et lui envoie une lettre proclamant cet amour. Dégoûté, Caunos la repousse et s’exile. Désemparée et au bord de la folie, Byblis poursuit désespérément son frère en Anatolie jusqu’à l’épuisement, où de par toutes les larmes pleurées elle se transformera en ruisseau avant sa mort.
Dans notre monde contemporain, Lena (Zsofia Körös) et Noah (Francis Meier) sont frères et sœur adolescents dans la ville de Zürich. Au moment où Noah termine ses études et part en Turquie pour entamer sa carrière en archéologie, Lena se retrouve de plus en plus submergée par les sentiments qu’elle éprouve envers son frère; des sentiments d’une forte relation fraternelle qui évolue au fil des années en relation amoureuse. Le comportement de Lena devient imprévisible alors qu’elle tente de concilier ce tumulte dans son esprit, en se demandant si Noah ressent la même chose.
Si le thème principal du film est l’inceste, ne vous imaginez pas de l’action typée Lannister dans la série Game of Thrones, car le tabou est ici raconté sous d’autres formes. Thomas Imbach fait le choix juste en concentrant Glaubenberg sur l’émotionnel et non sur le charnel, et c’est de ce choix ambitieux que toutes les libertés sont permises d’un point de vue cinématographique pour adapter cette légende antique. Pas assez pervers ou viscéral peut-être, mais ce choix artistique reste homogène avec la vision.
Dans un habile mélange de réalité, rêves et fantasmes, un mélange qui néanmoins dépasse parfois le contrôle du réalisateur, le spectateur entre dans l’esprit de notre (anti-)héroïne. Lena apprend peu à peu à vivre avec et contrôler ses désirs, mais ceci a un prix et la poussera progressivement vers la folie pure. Cette folie est justement représentée dans des scènes pouvant être vues comme incohérentes, désordonnées, longues, mais qui servent à renforcer l’immersion dans la vie de Lena. Le message à en retirer est que l’amour, inconditionnel, est difficile à porter. Surtout quand c’est envers un membre de sa propre famille. Un tel amour ne peut être perçu que comme de la folie, exprimée dans chaque facette de ce film et dans les relations de Lena avec une de ses enseignantes ou avec un ami Noah.
Le plus grand succès du film réside dans sa capacité à nous faire comprendre d’où exactement naissent les émotions de Lena, voire de nous autoriser à éprouver de l’empathie. Et ça, ça prend du temps à montrer à l’écran. Glaubenberg, le titre du film donc, est une montagne dans le canton d’Obwald. Cette montagne est aussi le décor de nombreux épisodes de l’enfance de nos deux protagonistes, dont les souvenirs ont davantage marqué Lena que Noah. On découvre grâce aux flashbacks l’innocence et la pureté de cette relation, comment cet amour a grandi avec Lena, et à quel point la fin du film devient inéluctable. Ce qui peut paraitre à priori impensable pour le spectateur lambda devient progressivement désarmant au point d’être d’accord avec Lena lorsqu’elle demande à son frère si, dans cet amour impossible et non réciproque, c’est une raison pour être cruel envers elle.
La musique accompagnante est soignée et transcendante, les images magiques de l’Anatolie et de la Suisse centrale sont immersives, mais surtout le tempo du film, de l’action et de l’intrigue sont habilement modulés. Si le début et le milieu du film sont rapides, dynamiques et captivants de par l’intelligence de la caméra et du doute que la narration installe dans l’esprit du spectateur sur la façon que Lena a de cloisonner ses visions, la fin coupe beaucoup d’éléments accessoires qui ne gravitent pas autour de Lena et Noah, du pèlerinage de Lena en Turquie et de sa chute. Et ceci quitte à laisser une lente impression d’inachevé pour se concentrer sur le changement du personnage de Lena.
Exemple parfait avec une scène de repas familial, où les parents sont ouvertement exposés aux sentiments qu’éprouve Lena envers Noah. Dans toute situation « réaliste », une confession pareille entrainerait des conséquences certaines, que ce soit simplement une scène où les parents parlent à leurs enfants. Dans Glaubenberg, rien. Tout est filtré pour ne pas distraire le public de l’escalade de la folie de Lena, où chaque scène accentue le crescendo.
Le clap de fin est justement fantastique, au sens premier du mot, mais totalement abrupt, et c’est à ce moment que le choc nous rappelle une des premières images du film : inspiré d’une légende. Et c’est là qu’on sourit et qu’on dit que le voyage était une sacrée épopée qui nous a fait passer par plusieurs états d’âme.
Noté : 4.5 / 5
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Bande-Annonce
Casting
Zsofia Körös
Francis Meier
Milan Peschel
Bettina Stucky
Morgane Ferru
Nikola Šošic
İlayda Akdoğan
Gonca de Haas
Erol Afşin
Détails
Date de sortie en Suisse: 22.11.2018
Réalisateur: Thomas Imbach
Pays de production: Suisse
Durée du film: 114 minutes
Genre: Drame
(Images droits réservés)