Damon Albarn, ex-leader du groupe Blur, tête pensante du projet Gorillaz, membre honoraire du supergroupe The Good the Bad and the Queen ainsi que producteur à ses heures (Bobby Womack, The Horrors, etc…), se décoiffe un instant de ses multiples casquettes pour nous délivrer un album d’une intimité saisissante.
En tant que fan, j’avais préparé ma rencontre avec ce disque comme celle que j’aimerais avoir avec un vieil ami. Me réjouissant de toutes les nouvelles choses qu’il aurait à me raconter, tout en espérant qu’il n’aurait pas trop changé. Soulagement. Mes espoirs sont contentés dès la première écoute. Play.
Le disque s’ouvre sur le premier single Everyday Robots. Un morceau lent et atmosphérique qui offre une entrée en matière aussi séduisante que déroutante. La voix est posée. Elle est douce et familière et on ne boude pas notre plaisir à la retrouver si pure, débarrassée de tout artifice, nue et vulnérable. On oublie ici le bidouilleur intrépide, le chef d’orchestre un poil trop sérieux qui donna vie à Dr Dee ou encore l’amateur avide et assoiffé d’expérimentations en tout genres.
On se retrouve ici en tête à tête avec l’ex.chanteur de Blur pour un projet très personnel.
Il est déjà passé le ton léger des retrouvailles que déjà l’ambiance s’alourdit avec Hostiles, seconde plage au rythme saccadé et au souffle court où il est question de jeux de communication entre l’auteur et son interlocuteur.
La construction du morceau ainsi que son orchestration nous indique ici que nous avons véritablement à faire avec l’album d’un artiste solo au sens littéral. La chanson commence comme une folk-song traditionnelle, avec un simple riff de guitare acoustique. Ce n’est qu’ensuite que Damon apporte son lot de plus-value à la formule pop et magique couplet-refrain-couplet-refrain, pont refrain. A savoir, des progressions d’accords toujours aussi inattendues, des ambiances feutrées servies par des arrangements de cordes discrets mais efficaces qui ne font pas qu’habiller mais portent et donnent couleur à la chanson. Mais, par dessus tout, ce qu’on ne peut inventer, ce qu’on ne peut même feindre, ce qui se bâtit sur une vie et prend tout son sens quand l’artiste se retrouve seul face à lui même se trouve ici et en abondance : la mélancolie unique et transcendante qui se dégage de cette voix. Un voile épais, impénétrable, grandiose et maîtrisé.
Lonely press play, second single, évolue lui aussi sur un rythme syncopé, un swing incertain, une acrobatie qui nous force à s’accrocher à cette seule voix qui nous transporte à travers un univers musical dépouillé et pourtant d’une densité émotionnelle haletante.
Puis, arrive Mr Tembo, l’intermède idéal pour nous tirer hors de la torpeur mélancolique dans laquelle nous avait laissé la piste précédente. La chanson aux accents gospels nous rappelle Tender de Blur. Le ton est enjoué et sur fond de Ukulele, Damon et ses choristes chantent à l’unisson les louanges d’un petit éléphant pour l’aider à gravir une colline. Ambiance bucolique et exotique. On est là bien loin du climat métropolitain grisâtre dans lequel le disque avait commencé.
Rapidement, cependant, nous y revenons.
Et on se retrouve pour ainsi dire dans le ventre de la bête The selfish Giant. Judicieusement placé au milieu du disque, se trouve peut-être le morceau le plus grave et le plus personnel. S’ouvrant sur des notes de piano sombres et perçantes à la limite de la justesse, le rythme qui se dessine au loin prend des airs d’oraison funèbre. L’introduction est longue et lugubre. Puis, en tête de procession arrive la voix qui adoucit quelque peu le ton avant de nous murmurer de glaçants aveux d’un air nonchalant Celebrate the passing drugs Put them on the back seat while They’re coursing in your blood. Plus terre à terre, il évoque avec une image pas moins forte le sentiment universel d’impuissance face à un quotidien sédentaire et relationnel parfois blême: « Had a dream that you were leaving, It’s hard to be a lover when the TV’s on And nothing is in your eyes ».
La plongée dans la noirceur se poursuit avec You and me et Hollow Ponds où l’auteur y évoque des fantômes du passé. On y croise Moko Jumbie, mystérieux personnage à la recherche de « possession perdue ». On arpente Westbourne Grove où l’auteur dit y creuser un trou. La description est précise et s’attarde sur l’inventaire d’un matériel loin d’être anodin « tin foil and a lighter ». Une feuille d’étain et un briquet. L’artiste qui n’avait jusqu’alors jamais caché un penchant prononcé pour les drogues douces s’aventure ici sur un terrain aussi dangereux qu’inconnu. Les textures sonores qui nous accompagnent à travers cette escapade qui n’a rien d’une ballade de scout sont épaisses et sombres, la voix est lointaine et plaintive et la perspective d’une lueur au bout du tunnel semble bien incertaine.
Pourtant, comme un rayon de soleil, l’instrumentale Seven High réussit l’exploit de transpercer les épais nuages d’un Londres toxique pour donner vie à la dernière partie d’un voyage aussi éprouvant qu’émouvant.
When the heavy clouds that hide the sun have gone chante Damon, après avoir évoqué de bien sombres souvenirs. La mélodie est à l’image du disque dans son ensemble, simple, limpide avec ce phrasé définitivement unique.
La météo demeure capricieuse au dessus de cet ombrageux Everyday Robots et une mélancolie froide ne tarde pas à faire son retour avec de nouvelles images du passé. Flash ou rêves passés à la moulinette d’un kaléidoscope aux altérations chimiques « We were walking as zombies on over – to the Church of John Coltrane – Eight hours on the bus from Sunset with freedom taking cocaïne – In the patent course of nature ». On en est encore ici clairement à tâtonner dans une brume bien épaisse à la recherche de la sortie, de l’apaisement.
Nous approchons de la fin du voyage avec les deux dernières plages : History of a cheating heart et Heavy Seas of love. A en étudier ces titres, retrouverait-t-on pour la conclusion l’âme romantique de Mr Albarn ? Nul doute que ce fringant quarantenaire doit encore avoir quelques vers intéressants à sortir sur le sujet.
History of a cheating Heart est une superbe ballade. Un crève cœur. La voix court après les silences pour toujours retomber sur ces arpèges cassants jusqu’à les faire vibrer à la faveur d’une nouvelle confession :
« I do love you but it’s just a fact – the history of a cheating heart is always more than you know ».
On n’y coupera pas cette fois encore, le Damon Albarn tourmenté d’hier l’est encore aujourd’hui et nage toujours en eaux troubles sur les lourds océans de l’amour. Heavy seas of love clôt le disque de la plus belle des manières. Avec l’aide et la voix de Brian Eno on assiste à un final haut en couleurs, chœurs, percussions propulsent la voix de Damon qui pour la première et la dernière fois d’un tour de chant tout en retenue, exulte, s’élève et résonne jusqu’à la dernière note. Rideau.
Epilogue
A l’heure où les grosses productions du rock international groovent à outrance sous l’impulsion du raz de marée Daft Punk et son Get Lucky aux accents disco 70’s. Ou les brillants Arctic Monkeys teintent leur indie rock de rythmes hip hop west coast, polissent leur production à la sauce RnB 90’s et que même Arcade fire et Black keys, derniers bastions réputés d’un style imperméable aux tendances ont finis par eux aussi céder aux sirènes des rythmes « feel good » et aux synthés, Damon Albarn nous offre une sublime collection de chansons garanties sans tube de l’été mais faites pour durer.
A savourer jeudi soir au Montreux Jazz Festival!