La Route du Rock 2017 | Grâce, poésie et transcendance I

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Angel Olsen à La Route du Rock 2017 @ Nicolas Joubard

« I’ve been writing some poetry and… I’m gonna share, I’m gonna spend the rest of the set reciting poetry you guys. How do you feel about that ? It’s pretty hot, right ? » Angel Olsen, dimanche 20 août, La Route du Rock 2017

« Mais la grâce est toujours unie à la magnificence (…) ».  François-René de Chateaubriand, Atala dans Oeuvres Complètes, p. 18

La Route du Rock avait certainement la meilleure programmation festivalière de l’été. Il faut dire que l’on attendait énormément de notre première édition de ce festival français de musique indépendante. De grands artistes, dont une majorité d’anglophones, étaient présents dans la ville de Saint-Malo, qui a vu naître le célèbre romancier Chateaubriand. On peut citer notamment la talentueuse prêtresse folk-rock Angel Olsen, le groupe californien Oh Sees, le déjanté Mac de Marco, les romantiques de Future Islands ou encore le génie de garage rock, Ty Segall and The Freedom Band. Dans cette première partie de notre dossier sur La Route du Rock, nous rendons compte des grands moments de cette édition 2017. La poésie et la grâce traversent cette année le festival malouin.

La musique transcende l’âme : La Vie, l’Amour, la Mort, le Vide et le Vent [1]

La Vie. Nous ne comptons pas les concerts immanquables de cette édition de La Route du Rock qui ont marqué notre âme. Le groupe originaire de San Francisco, Oh Sees, était celui que l’on attendait le plus le vendredi 18 août. L’arrivée de John Dwyer sur la Scène du Fort a secoué le public. Après quelques mots en français, Plastic Plant résonne déjà dans la nuit noire. Il est suivi de Tidal Wave, l’un de nos morceaux préférés du groupe, qui puise dans les influences garage de la formation américaine. Le chanteur, guitariste et multi-instrumentiste, John Dwyer est toujours aussi charismatique. Sa prestance scénique est absolument incroyable bien que ses échanges avec le public français soient courts. Nous sommes restés également admiratifs de la performance des batteurs, Dan Rincon et Paul Quattrone. Il est vrai que la présence de deux personnes à la batterie en impose. Le chanteur d’Oh Sees, aux tatouages bien visibles, est le seul membre permanent du groupe de rock garage psychédélique punk. En effet, les autres musiciens sont régulièrement remplacés. Durant le concert, la voix de John Dwyer est, comme toujours, enfantine. Les guitares électriques se font furieuses, soutenues par la fougue des batteries sur Withered Hand. Oh Sees nous rappelle indubitablement à la vie elle-même.

Oh Sees à la Route du Rock 2017 @ Nicolas Joubard

Future Islands nous a également subjugué, le samedi 19 août, grâce à la prestation scénique magistrale de Samuel T. Herring, le chanteur du groupe. En bon frontman, il ouvre le morceau Ran par un monologue touchant. Très expressif, ce dernier vit sa musique en dansant, frappant sa poitrine, arpententant la scène ou en levant le bras au ciel. Mais c’est surtout au travers du visage du chanteur que transparaît son don d’habiter les paroles de ses chansons. Tel un acteur magnétique, il nous transporte dans une infinité d’émotions, mélancoliques ou rageuses, rêveuses ou nerveuses. Il vocifère, crie, sussurre ou chante. Samuel T. Herring introduit de quelques paroles, la magnifique chanson A Dream Of You And Me traversée de synth-pop nostalgique. Bien que plus discrets sur scène, les autres membres du groupe offrent également une belle prestation musicale à La Route du Rock qui valorise les chansons de leur récent album The Far Field sorti en avril dernier, comme Beauty Of The Road et Time on Her Side. C’est la vie qui est transposée dans la performance du chanteur de la formation américaine.

Future Islands à la Route du Rock 2017 @ Nicolas Joubard

L’Amour. Le dernier jour du festival La Route du Rock proposait une multitude de live mémorables. Le concert qui sera ancré dans notre cœur pour des temps immémoriaux est certainement celui de la prêtresse folk Angel Olsen. Sa performance nous avait émue au Bad Bonn Kilbi plus tôt cette année. Quelques reverbs mélancoliques embrument les membres du groupe qui s’avancent, assurés, auprès du public et jouent une introduction. Habillée d’une pièce jaune pâle et de lunettes de soleil de la même couleur, Angel Olsen fait une entrée magistrale sur les notes rebelles d’High and Wild. Après avoir donné un bisou sur la joue à son amie et bassiste, Emily Elhaj, elle enfourche sa guitare. La communion sacrée peut commencer. La chanteuse américaine, originaire du Missouri, était plus communicative avec le public et rayonnait dans le Fort de Saint-Père. Elle n’hésita pas à nous parler de son expérience pluvieuse à La Route du Rock en 2014. Un spectateur lui lança en criant I love you ce à quoi la chanteuse lui répond : I love you but… Et elle chante, ensuite, ses malheureux amours sur la chanson Shut Up Kiss Me : « We could still be having some sweet memories / This heart still beats for you / Why can’t you see ? / Shut up kiss me / Hold me tight ». Plusieurs morceaux de son dernier album My Woman, ode féministe s’il en est, s’enchaînaient merveilleusement sur la thématique amoureuse. Si les paroles de l’artiste américaine sont poétiques, ses mélodies sont à la fois langoureuses et revêches, comme Give It Up ou Not Gonna Kill You. Angel Olsen laisse une place non négligeable à la poésie puisqu’entre deux chansons, elle nous a confié qu’elle en écrivait. Il est vrai qu’avant d’emprunter la voie de la musique, l’artiste américaine hésitait à poursuivre une carrière de poétesse. Charismatique et radieuse, la belle chanteuse nous envoûtait autant par sa voix de diamant pur que par ses paroles écrites dans le sang bleu. Comme ses guitares nous hantent. Les autres membres de son groupe, tous et toutes vêtu.e.s d’un blazer gris, ne sont pas en reste puisqu’ils se montraient très passionné.e.s sur scène. On pense notamment à Heather McEntire qui est au back vocals. Les voix se faisaient écho, les guitares, la basse et la batterie se répondent et s’unissent dans une harmonie joyeuse et triste. L’amour se montre toujours au cœur de ses questionnements, comme dans Those Were The Days : « I waited for you / And you kept on searching with me (…) Will you ever know the same love that I’ve known ? » Un concert de grâce et de vapeurs qui s’achève avec Woman : « And I could still breathe for you / Open up and scream for you / Tell me what I wouldn’t do / Tell me that love isn’t true (3x) / I dare you to understand / What makes me a woman ». Mais n’est-il pas vrai que la poésie est l’essence même de l’amour ? Il semble que ce soit aussi le cas pour Angel Olsen.

Tous droits réservés à Andy Sawyer / http://andysawyer.com

Il ne fallait, en aucun cas, rater le concert « chill and fun » de Mac de Marco. Avec sa nonchalance et son charisme légendaire, il a mis une sacrée ambiance à La Route du Rock. On remarque, un peu étonnée, que sur la scène, il y a une petite table avec un pot de fleurs et plusieurs chaises. Rapidement, des membres du groupe d’Angel Olsen, puis l’artiste elle-même se posent sur ces dernières. Elle, qui avait disparu dans les tréfonds du backstage, réapparaissait sur scène. Ils se prennent au jeu de participer au show. Mac de Marco était fidèle à lui-même : drôle, léger, imprévisible. De nombreux fans étaient spécialement venus pour lui ce soir. Le concert du trublion canadien était toujours aussi prenant même si sa nonchalance a pu déplaire à certains qui l’ont qualifié « de grand foutage de gueule ». Sa pop indie psyché est diablement belle, même si elle a, au fur et à mesure de ses albums, laissé une place non négligeable au synthé. Quand le musicien, aux dents du bonheur et à la fameuse casquette vissée sur la tête, entame le mélancolique Ode to Viceroy, la chanson ne peut que nous émouvoir. Il enchaîne les anciens succès, comme The Stars Keep On Calling My Name ou de titres récents, tirés de son dernier album This Old Dog. Ce concert démentiel a probablement atteint un degré de n’importe quoi quand Mac de Marco a repris le célèbre morceau de Vanessa Carlton, A Thousand Miles en répétant, pendant quelques minutes, « Making my way downtown », une des paroles de la chanson. On vous l’avait dit « chill and fun ». Au contraire, la chanson For The First Time crée une ambiance plus intimiste. Il faut dire que l’artiste sait se faire sensible comme sur One More Love Song : « Is one more love out to break your heart / Set it up just to watch it fall apart ». Derrière l’humour et l’assurance qu’il montre sur la Scène du Fort de La Route du Rock, le déjanté Mac est un grand romantique. Sa copine de longue date, à qui il adresse probablement « And I’d tell you, that I loved you, if I did » dans Moonlight on the River, est bien présente dans les backstages de la scène. Elle, c’est Kiera McNally, alias Kiki, une artiste canadienne avec qui il fait des vidéos et des photos espiègles. Lui, c’est Mac de Marco, un gars introspectif et déluré, qui a un immense talent. 

Mac de Marco à la Route du Rock 2017 @ Nicolas Joubard

La Mort. Le Vide. Si la poésie s’apprête plutôt bien à l’amour, elle s’étreint aussi du Vide. Après une petite pause bienvenue, Interpol enchaîna dans un genre différent. Si les trois new-yorkais sont plus réservés que leur prédécesseur, c’est pour mieux mettre en lumière leur musique coldwave post-punk. La gravité et le retrait qu’ils manifestaient sur scène donnaient encore plus de profondeur à leur premier album Turn on the Bright Lights qu’ils sont venus jouer à Saint-Malo. Sorti en 2002, leur actuelle tournée fête les 15 ans de l’album. La voix du baryton, Paul Banks, donnait du corps à leurs chansons. C’était sans doute le groupe que j’attendais le plus parce que, contrairement à Angel Olsen, Ty Segall ou Mac de Marco, je ne les avais jamais vu en live. Découvert en 2004 avec leur magnifique morceau Evil sur MTV, Interpol a largement balisé mon intérêt pour le rock et les musiques actuelles à un âge où j’en écoutais encore peu. Le groupe américain m’a également permis de découvrir le mouvement cold-wave, en écoutant plus tard Joy Division, leur influence majeure selon la critique. Les musiciens ont installé leur ambiance ténébreuse et flottante en jouant quelques morceaux de leur deuxième album Antics. Not Even Jail, qui ouvre le concert, est aussi explosif en live que sur disque. Slow Hands est une symphonie de guitares à l’excellence qui ne fait pas de doute. D’autres morceaux sont joués avant que leur premier opus ne fasse son chemin sur scène. L’ordre dans lequel sont joués les chansons est exactement le même que celui de Turn On the Bright Lights. Il est vrai que l’on ne pouvait qu’être saisie lorsque les premières notes d’Untitled ont commencé à résonner. Les chansons Obstacle 1 ou PDA nous jettent dans une noirceur, propre au groupe. Sur NYC, Paul Banks explore sa persona au travers de la ville de New York : « I had seven faces / Thought I knew which one to wear / But I’m sick of spending these lonely nights / Training myself not to care ». Les musiciens new-yorkais sont énigmatiques dans leurs costumes noirs. Les musiciens nous plongeaient toujours plus loin dans les ténèbres. Nous étions cernés par le Vide et la Mort. Les mouvements de foule, qui se déroulaient en continu durant le concert, manifestaient très certainement la joie des fans. Les guitares et les paroles se sont fait lyriques sur Say Hello To the Angels : « But each night / I bury my love around you ». Une lumière apparaissait avec Stella was a Diver and She Was Always Down et The New. On peut seulement regretter l’absence du bassiste original, Carlos Dengler, qui est parti du groupe en 2010. On les quitte avec le puissant morceau Evil, qui nous a permis de connaître le groupe. « Rosemary / Heaven restores you in life / You’re coming with me / Through the aging, the fearing, the strife ». Rosemary, nous nous (re)verrons dans les rougeoiement du ciel qui se brise. Après l’obscurité des morts, les promesses venteuses du Paradis.

Interpol à la Route du Rock 2017 @ Nicolas Joubard

Et le Vent. Ty Segall était le dernier artiste immanquable de cette édition 2017. Le génie californien nous a permis de finir le festival de La Route du Rock en apothéose. Le chanteur et multi-instrumentiste blond était accompagné des membres de son groupe The Freedom Band dont certains étaient présents dans des formations antérieures comme Mikal Cronin, à la basse, Charles Moothart à la batterie et Emmett Kelly qui est à la guitare. Les musiciens étaient habillés de vêtements rouge. Rouge sang, rouge feu, rouge d’alizarine, bordeaux, carmin, amarante. Tel le vent, les notes de guitares du groupe se réverbaient, se dispersaient et portaient notre âme. Ces instruments se déchaînaient sur le morceau introductif du concert Break My Guitar. Fureur et tremblements. C’est également la première chanson de son album sobrement intitulé, Ty Segall. Quelques notes naïves de synthé, joués par Ben Boye, faisaient leurs apparitions dès Freedom. Les morceaux s’enchaînaient à une cadence démesurée, commes les albums du musicien américain. Finger sonnait le chaos et la dissonance des guitares. Ty Segall était très généreux sur scène même si il parlait relativement peu avec le public. Sa musique est un savant mélange de rock psychédélique, de garage rock, de proto-métal et de punk. Warm Hands (Freedom Returned) et The Only One confirment la virtuosité de Ty Segall et de ses musiciens. Chacun faisait crier son instrument. Squealer et Candy Sam nous plongeaient dans son album précédent, Emotional MuggerTy Segall and the Freedom Band a même pris le temps de souhaiter un joyeux anniversaire en chanson à son ingénieur son, Sam. Si les sons de guitares nous ont porté durant tout le concert, c’est le vent qui soufflotait dans les cheveux du musicien américain.

Tous droits réservés à Andy Sawyer @ http://andysawyer.com

A noter que tous ces concerts sont disponibles en replay sur le site d’Arte Concert : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-014477/la-route-du-rock/. Le concert d’Interpol peut être visionné, quand à lui, ici : https://www.youtube.com/watch?v=Iw-ZT9LXpnI

Janett Donis

Suite de l’article dans Grâce, poésie et transcendance II

[1] La dernière partie de ce sous-titre est tirée du recueil de poésie du même nom La Vie, l’Amour, la Mort, le Vide et le Vent (1933) du poète français Roger Gilbert-Lecomte.