Les Rencontres 7è art Lausanne [r7al], c’est le pari de l’acteur Vincent Perez, un festival instaurant une proximité entre le public, les artistes et experts-es souvent inaccessibles pour réunir tout ce beau monde autour de débats et autres workshops abordant de près ou de loin le cinéma: contemporain ou moins.
C’est également l’occasion de célébrer le cinéma et celles et ceux qui le font en voyant ou revoyant des classiques projetés à la cinémathèque, le capitole ou les salles du groupe Pathé. En somme, les[r7al] ont été pensées pour tout un chacun: passionné ou simplement curieux. Chronique à vocation non exhaustive de cinq jours de rencontres et projections qui nous auront marqués.
Samedi 24 mars 2018 – Masterclass ECAL, Michel Hazanavicius
Les rencontres ont ouvert le bal avec une première masterclass sous le signe de l’humour, faisant la part belle à son travail sur les films OSS 117. Michel Hazanavicius interrogé à plusieurs reprises par le responsable de la section cinéma de l’ECAL (école cantonale d’art de Lausanne), Lionel Baier, ainsi que les nombreux étudiants présents dans l’auditorium s’est attardé sur le processus d’écriture. On y apprend que pour lui, l’humour et la comédie sont venus naturellement, qu’il ne faut pas en faire à partir du moment où ça devient laborieux.
« l’humour et la comédie sont venus naturellement, qu’il ne faut pas en faire à partir du moment où ça devient laborieux ».
Il raconta également qu’il aimait prendre le temps, il n’était pas obsédé par le rythme, et qu’il y avait quelque chose de beau à voir un personnage penser, et balancer des âneries derrière. Il a notamment évoqué le scénario d’OSS qui avait été refusé par beaucoup de réalisateurs, parce que sorties de leur contexte, les blagues pouvaient être mal interprétées. Il avait par ailleurs réussi à créer une distance avec le personnage, « il parle un français des années 60 qui a ce côté extra-terrestre ».
Vint un extrait de The Search, un drame qu’il a réalisé sur la guerre de Tchétchénie sorti en 2014 dans lequel son épouse Bérénice Bejo interprétait l’employée d’une ONG. A la question: le plus gros challenge concernant l’écriture du film, il répondit qu’il y avait une volonté de ne pas trahir l’histoire qui n’était pas la sienne.
En passant, Michel Hazanavicius reviendra une dernière fois sur son refus de continuer à filmer les aventures de l’agent OSS 117: « je n’aime pas le scénario ».
Revenant sur l’humour, un étudiant lui demanda s’il y avait des limites à ne pas franchir dans l’humour, il répondit que certaines vannes étaient à manier comme de la « nitroglycérine » mais le plus grand mal était l’ironie qui tue le 1er degré et l’empathie. En passant, Michel Hazanavicius revint une dernière fois sur son refus de continuer à filmer les aventures de l’agent OSS 117: « je n’aime pas le scénario ». Chou blanc donc! Pas grincheux pour un sou, Michel Hazanvicius resta longuement dans l’auditoire pour poser sur des selfie avec le public, signer des autographes et échanger brièvement quelques mots.
Lundi 26 mars 2018 – Masterclass ECAL, Darren Aronofsky & The Wrestler, présenté par Darren Arononfsky au cinéma Capitole.
Thierry Frémaux (délégué général du Festival de Cannes) qui passait dans le coin eu quelques mots pour présenter le cinéaste New Yorkais, qui avait jadis présenté Requiem For A Dream hors compétition au festival de Cannes: « Un preneur de risques qui fait des films d’auteur de conviction dans un cinéma formaté, il déformate ». Le but de la masterclass du jour était de comprendre le cinéma de Darren Arononfsky plutôt que de s’essayer à analyser sa filmographie.
Son travail d’écriture et le traitement de la violence furent au coeur des débats. Lorsqu’une étudiant lui demanda comment parvenir à gérer le stress qui accompagne le processus de l’écriture, Darren Aronofsky répliqua qu’il partageait avec ses amis, il faisait des recherches, c »était dur mais il était véritablement soulagé lorsqu’il arrivait au bout.
Interrogé sur l’absence de musique dans Mother, connaissant la place importante qu’occupe la bande son dans ses films, Darren Aronosfky répondit que lorsqu’on utilise de la musique on manipule les émotions des spectateurs. On leur dit comment réagir et quelles émotions ressentir. « C’est de la triche, je voulais que le spectateur soit aussi perdu que mother. Je voulais que le film se passe dans sa tête, que des plans derrière elle et sur son visage, sans aucun indice ».
« lorsqu’on utilise de la musique on manipule les émotions des spectateurs. On leur dit comment réagir et quelles émotions ressentir. C’est de la triche, je voulais que le spectateur soit aussi perdu que mother(…). »
Avant de passer un extrait de Black Swan dans l’auditoire, Lionel Baier demanda au cinéaste s’il aimait revoir ses films, ni oui ni non répondit-il un peu gêné, « c’est un peu comme de la masturbation ». Il y eu même une question trivial pursuit, cette fois venant du réalisateur pour l’audience: tous mes films ont un personnage qui tombe à la fin sauf un, lequel? Après trente secondes quelqu’un s’exclama Noah! « Oui c’est parce que la bible a des happy ending, mais si j’avais pu, j’aurais changé la fin » (rires).
Il termina avec une anecdote sur les non-acteurs et à quel point il était difficile de travailler avec eux: « Un chirurgien était consultant sur un tournage. Comme il était brilliant j’ai donc voulu lui laisser sa chance, et le pauvre était mauvais, sa femme lui chuchotait les dialogues à l’autre bout de la pièce, j’ai su qu’il avait répété toute la nuit. On a dû engager un remplaçant à la dernière minute, ça se voit en regardant la veste du nouveau chirurgien qui était beaucoup trop grande pour lui. La morale de l’histoire étant qu’il faut faire faire des trucs que les non-acteurs connaissent sinon ils sont perdus. Si vous avez un ébéniste qui monte un meuble en silence c’est plus facile que de lui demander de parler en même temps ».
The Wrestler (2008)
Auréolé d’un lion d’or à du meilleur film à Venise et un golden globe du meilleur acteur pour Mickey Rourke, The Wrestler fut présenté au Capitole par son réalisateur dans la foulée de sa masterclass à l’ECAL. Darren Aronofsky confia s’être interrogé sur l’inexistence de films traitant du catch, sans doute parce que personne ne prenait ces messieurs au sérieux. Au contact de catcheurs, il pris la mesure de la dimension artistique ce sport. Il aborda par ailleurs les difficultés liées au financement du film: pour beaucoup de producteurs Mickey Rourke était un pari bien trop risqué, Wildbunch proposa de l’aider à la condition que Mickey Rourke fut maintenu dans le rôle principal.
Légende absolue du catch dans les années 80, Robin Ramzinski, mieux connu sous le nom de Randy « The Ram » Robinson, se produit désormais dans des lycées à moitié vides, et peine à payer le loyer de son mobile-home. Le soir il écume le strip club du coin pour avoir quelqu’un à qui parler. Incapable de se passer du frisson que lui procure le catch, une attaque cardiaque le poussera à une retraite anticipée le plongeant dans une crise existentielle.
The Wrestler sort Mickey Rourke d’une longue et pénible traversée du désert sur le plan professionnel et privé dans un rôle quasi auto-biographique. Filmé à la manière d’un documentaire, the Wrestler est un récit d’une authenticité redoutable sur des héros en quête de rédemption. Des « has been » terrassés peu à peu par leur raison de vivre, qui persistent envers et contre tous, effrayés par la vie en dehors du catch. Un drame renversant jusque dans les derniers instants.
Mardi 27 mars 2018 – Women in motion (KERING) avec Rossy De Palma
« Women in motion » est un cycle de conférence et de prix faisant la part belle aux femmes et leur travail dans le milieu du cinéma, qui d’autre que Rossy De Palma pour aborder le féminisme, l’affaire Weinstein, le mouvement #MeToo et la place des femmes dans le cinéma et la société?
Rossy De Palma est une artiste espagnole polyvalente et polyglotte qu’on ne présente plus, elle aborda en français dans le texte, avec énormément d’enthousiasme, de conviction et d’humour des sujets sensibles.
» depuis toute petite je n’ai jamais été dans un esprit de groupe, je suis une anarchiste individualiste ».
En réaction aux mouvement féministes qui voyaient le jour depuis quelques mois, Rossy De Palma s’exclama « depuis toute petite je n’ai jamais été dans un esprit de groupe, je suis une anarchiste individualiste ». « Elle range son placard avant d’aller regarder celui des autres ». Elle met en garde contre la chasse aux sorcières tout en soutenant les victimes qui sortent du bois ou celles n’en sont pas encore capables. Son combat ne s’arrêtant pas au cinéma, elle s’insurgeait en parlant de personnes qui doivent sûrement souffrir dans un endroit aussi anodin qu’un super marché, car il y a des prédateurs partout et il fallait en être conscient. Elle évoqua des situations personnelles où elle a refusé de faire des compromis: « je suis arrivée jusqu’ici toute seule, et ça continuera comme ça ».
« (…) Depuis des générations les femmes ont été complexées, on disait que c’était sAle (…) Tout ce qui a trait à la sexualité féminine est considéré comme vulgaire. »
Malgré son individualisme, elle rappellera un de ses cheval de bataille: la sororité. Ce lien qui uni les femmes. « Je me méfie des femmes qui disent qu’elles s’entendent bien qu’avec les hommes, on peut facilement manipuler les hommes, mais entre femmes, il n’y a pas de masques, on peut être qui on est vraiment ». Une personne dans l’audience lui demandera ce qu’elle pense de la nouvelle génération de féministe, avec énormément de fierté elle dira que le premier mot de sa fille était non, alors qu’elle aura mis 40 ans avant de d’apprendre à le dire et qu’il lui arrivait avec beaucoup d’humour de rappeler à sa fille qu’elle n’avait pas inventé le féminisme (rires). Rossy De Palma aborda la sexualité féminine et le tabou autour de celle-ci qui se retrouve encore dans la le language, et ceci dans plusieurs langues différentes. « Depuis des générations les femmes ont été complexées, on disait que c’était sale. Tout ce qui a trait à la sexualité féminine est considéré comme vulgaire.
Elle fut légèrement prise en grippe pour certaines prises de position par des personnes dans l’audience lui faisant remarquer que son cas particulier ne pouvait être généralisé. Car Rossy De Palma est unique: sa force de caractère, sa résilience et son charisme la rendent en tous points attachante. Elle se pris à parler de son retour pour la prochaine édition des rencontres 7è art Lausanne et on s’en réjouissait d’ores et déjà.
Mercredi 28 mars 2018 – Masterclass ECAL, Thomas Vinterberg
Avec son deuxième film Festen (1998) Thomas Vinterberg changea radicalement l’histoire du cinéma. Calme et posé, il aborda avec énormément d’humilité le succès du dogme, ce manifeste artistique qui proposait un cinéma affranchi des conventions de l’époque.
Le cinéaste étant plutôt bel homme, le médiateur brisa la glace avec en lui demandant s’il avait conscience de son succès auprès des femmes lorsqu’il était encore étudiant. Il botta en touche en disant qu’il était trop occupé à cette époque pour faire attention aux filles. Et qu’au surplus il était très timide quand il était plus jeune.
une fois le film présenté à Cannes, c’était la fin du dogme (…) du jour au lendemain c’etait devenu une mode
A propos du dogme, il partagea les mises en garde de ses proches qui considéraient que l’exercice était un suicide professionnel. « Mais ce qu’il y avait de beau dans cette entreprise c’est qu’on s’est jeté dedans à plusieurs ». Son camarade de l’époque Lars Von Trier et lui voulaient « créer une vague et être le centre de l’attention, c’était arrogant mais on ne pensait pas que ça se ferait. Mais une fois le film présenté à Cannes, c’était la fin du dogme, il avait été pensé comme une révolte contre la médiocrité du cinéma d’antan, le notre aussi. On voulait mettre le cinéma à nu et du jour au lendemain c’est devenu une mode, aujourd’hui au Danemark on peut encore acheter des meubles dogme ».
Thomas Vinterberg décrivit avec nostalgie et affection des moments de son enfance dans ce manoir familial peuplé de hippies intellectuels, et l’effervescence des repas passés autour d’une immense table. Une composante essentielle de son travail que l’on retrouve dans plusieurs films: sa madeleine de Proust. Il confia volontiers que sa scène préférée dans la chasse était cette scène autour d’une table où les protagoniste sont saouls et se vannent.
« My next meal that’s f****** serious! What kind of director I want to be in a few years? those questions don’t lead you anywhere. »
Il s’attarda à plusieurs reprises sur l’écriture de ses personnages, il écrit en premier lieu en ayant une actrice ou un acteur en tête, il explore ensuite les facettes des personnages en décrivant leur parcours, ce qu’ils révèlent et ce qu’ils veulent garder secret et creuse dans ce sens pour leur donner vie avec ses interprètes. Il admis être très exigeant avec ces derniers, tout en fonctionnant sur un rapport de confiance. Il nous quitta sur une note optimiste en rappelant que les choses sérieuses comme le prochain repas que vous allez prendre méritent toute votre attention. Mais les questions existentielles sur l’avenir de sa carrière doivent se prendre spontanément. Et pour la petite histoire, son prochain film aura pour thème l’alcool.
Entendre Vincent Perez parler de l’esprit des rencontres 7è art Lausanne fut une chose, mais le vivre et réaliser le travail monstrueux qu’il a fallut mettre en place pour concrétiser ce rêve fou nous a franchement convaincus. Nous souhaitons longue vie aux rencontres et tout de bon pour les prochaines éditions que nous espérons nombreuses.