Interview | Rachel Lang pour Baden Baden

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Rachel Lang
©Armand Yerly / Cinéma CityClub

Le premier long métrage de Rachel Lang, Baden Baden, conclut le triptyque précédé par les courts-métrages Pour toi je ferai bataille et Les navets blancs empêchent de dormir. Présenté en première mondiale à la Berlinale cette année, le film met en scène Ana, 26 ans qui retourne à Strasbourg, sa ville natale, après un échec professionnel à l’étranger. Une quête existentielle qui est comblée par le projet, à la fois pragmatique et surréaliste, de transformer une baignoire en douche pour sa grand-mère. Baden Baden est le récit de la construction chaotique de soi à l’image d’un chantier en perpétuel renouvellement. Le Billet a échangé avec la réalisatrice à l’occasion de sa venue au City Club de Pully.

Propos recueillis par Milena Pellegrini

« Baden Baden », la douche, le symbole de l’eau est partout dans le film…. pourquoi ?

Comme le fil rouge du film est de remplacer une baignoire par une douche et que le centre est la salle de bain et la relation d’Ana avec la grand-mère, je voulais garder la métaphore de l’eau tout le long du film. L’activité de carrelage et de plomberie est concrète et en même temps c’est l’élément le plus adapté à rendre le film le plus organique comme j’en avais envie. Il est organique dans le sens où je ne voulais pas que ce soit un scénario millimétré, avec tout qui est expliqué mais que ce soit l’image de la vie un peu plus bordélique, arythmique et en contraste. L’élément de l’eau me permettait de lier et de donner une certaine fluidité à ces arythmies.

Image droits réservés / cheval deux trois / tarantula / jour2fête
Image droits réservés © Cheval deux trois / tarantula / jour2fête

Cette idée de recherche d’un projet, cet impératif que chaque personne a de s’inscrire dans un cadre, d’avoir un but, se traduit par cette transformation de la baignoire en douche. Est-ce que cette recherche est vécue par chacun, universellement? Et est-ce aussi une critique de cet impératif à trouver à tout prix un cadre, un projet?

C’est commun à tous d’avoir besoin d’appartenir à quelque chose, d’avoir un but pour avancer, sinon c’est difficile de trouver un sens. Ca permet de donner forme au chaos. C’est une manière de tracer des lignes, de trouver des lignes de fuite pour organiser et avancer, passer des étapes et ne pas être dans un flou total. Il y a quelque chose de très existentiel et en même temps très particulier à notre génération. Cette génération de jeunes trentenaires a du mal à trouver sa place dans le monde. Grégoire est le miroir d’Ana et en tant que mec il est un peu en recherche d’un endroit, d’une place dans le monde. Chacun trouve des cadres différents pour répondre à ce besoin de ligne de fuite. Amar part à la légion étrangère. Lui il a choisi la solution hyper radicale qui est de remettre sa vie à une institution qui est l’armée, de mettre entre parenthèses ses recherches existentielles, son libre arbitre pour avoir ce salut, cette prise en main par quelqu’un d’autre. Ana, elle est dans une recherche d’appartenir à quelque chose. Elle ne fait pas partie d’un groupe ou d’une famille et elle essaye de graviter, de faire des rencontres qui vont l’aider à faire ce projet mais aussi à en développer un autre à plus long terme. C’est le job de toute une vie, à tous les âges, car avoir un projet crée la vie et crée du lien. Si on n’a pas de projet on n’est pas dans une démarche active: pour vivre il faut avoir un projet.

Pourquoi avoir décidé de travailler avec la même actrice, Salomé Richard, pour les trois films?

J’ai rencontré Salomé pour le premier court-métrage et j’avais déjà l’idée du triptyque. C’était une très belle rencontre et j’ai continué de travailler avec elle et le personnage d’Ana. Il y a eu chimie entre la comédienne et ce personnage et j’ai alors fait les trois films avec elle.

Comment avez-vous choisi les morceaux de la BO ?

Certains morceaux ont été choisis au scénario, d’autres ont été changés car les chansons étaient trop chères. Par exemple, il y a deux autres chansons qui étaient prévues pour le karaoké mais qui étaient trop chères, alors on a eu des listes de morceaux moins chers parmi lesquels j’ai choisi. Sinon il y a la musique de La Femme que j’aime beaucoup. J’avais d’ailleurs utilisé un morceau de ce groupe dans mon court-métrage précédent. Il y a The Rapture qui est une idée de mon producteur malgré le fait que ce soit cher. La dernière chanson du générique de Bachar Mar Khalife c’est le graphiste qui m’a fait découvrir cet artiste au moment où j’étais en post-production.

En parlant du morceau de la Femme, « Si un jour« , qui dit : « Mais moi j’aimerais vraiment pouvoir abandonner mon Moulinex, devenu unisexe », l’identité de genre est questionné tout au long du film

J’ai voulu que ce personnage soit unisexe, pour élargir le propos et lui permettre d’être d’abord un individu avant d’être le représentant d’un genre. Je voulais Lui permettre de ne pas être cantonné à un cadre précis, être une jeune fille avec des cheveux longs, qui séduit et qui est à sa place. Du coup j’avais envie qu’elle soit libre de conduire à 200 sur l’autoroute avec une grosse voiture qui fait rêver les garçons et demander le 06 à un mec et à la fois d’être naïve à retomber amoureuse de son ex-copain. Je voulais que le panel de caractéristiques soit mixte, auquel autant un homme qu’une femme peuvent s’identifier. Ce n’est pas l’histoire d’une jeune fille mais le parcours d’un individu avant tout.

Les relations inter générationnelles sont très importantes, pourquoi ?

Le chemin d’Ana c’est de faire les bonnes rencontres. Elle essaye de comprendre quelles rencontres lui font gagner en joie, en puissance ou pas. Elle essaye de se construire à partir des rencontres qu’elle fait. Il y a l’idée de retour dans une ville connue, quittée, dans laquelle on revient. Je ne voulais pas me focaliser sur la génération juste en dessus, donc les parents, toujours en attente que leurs enfants soient heureux et réussissent. La pression émotionnelle dans cette relation n’est pas propice à l’épanouissement de l’enfant, surtout dans ce genre de situation où Anna est en lose, elle revient d’un échec professionnel, elle ne sait pas quoi faire de sa vie.

La relation avec la grand-mère, permet de laisser un vide générationnel entre elle et sa grand-mère. Elle est un compagnonnage silencieux, une écoute bienveillante, qui n’est ni dans le jugement, ni dans la pression de la réussite. La grand-mère a une confiance en ce que sa petite-fille va devenir, car elle a aussi vécu ce moment là et qu’elle a plus de recul que les parents pour juger de cela.

Image droits réservés / cheval deux trois / tarantula / jour2fête
Image droits réservés © Cheval deux trois / tarantula / jour2fête

Vous travaillez aussi dans l’armée française qui peut sembler être un monde complètement différent de celui du cinéma, voir opposé. D’un côté un cadre strict, des règles et de l’autre  la création et l’infinité des possibilités créées par le cinéma. Est-ce le cas? Et comment gérez-vous ce contraste?

C’est opposé tout à fait. Il y a des fonctionnements similaires parce que le cinéma c’est un endroit très hiérarchisé où quelqu’un dit « on va faire ça » et tout le monde fait en sorte de le faire. Mon travail dans l’armée française est un engagement citoyen, j’ai eu une première expérience à l’armée quand j’avais 19 ans alors que j’étais étudiante en philo et théâtre et je me suis rendue compte d’une autre réalité; il y a des milieux privilégiés et d’autres moins. J’ai rencontré des gens qui ne savaient ni lire, ni écrire qui avaient mon âge alors que je ne savais pas que ça existait.

Ca a été vraiment une révélation en termes de mixité sociale. J’ai trouvé très fort la façon dont cette machine arrive à faire de la cohésion, faire un groupe, faire une unité avec des gens très disparates, de milieux très différents. C’est un milieu qui m’intéresse beaucoup et c’est un équilibre important pour moi car on peut rapidement être hors toute réalité lorsqu’on fait du cinéma, de ne connaître que des gens qui font de la photo, du cinéma, de la peinture. Je ne veux pas rester dans un entre-soi qui n’est au final pas représentatif de la société dans laquelle on vit.

Et vos prochains projets?

Je suis en écriture d’un deuxième long-métrage qui s’appelle « Mon légionnaire » qui est sur la légion étrangère. C’est une branche spécifique de l’armée française où il n’y a que des Hommes et que des étrangers du monde entier. Il y a 150 nationalités à la légion. Lorsqu’on arrive, pendant 5 ans on change d’identité et on ne peut plus se marier, acheter un appartement, une voiture. On donne sa vie à la légion pendant 5 ans et à l’issue on a la nationalité française.

Bande annonce: 

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Diplômée en Etudes du développement international, je rejoins l'équipe du Billet en janvier 2015. Films engagés, indépendants, je suis à la recherche d'un cinéma qui perturbe le sens commun et heurte la banalité. Parallèlement, je travaille sur différentes recherches académiques sur le cinéma et la mémoire ainsi qu'au sein du bureau du festival Cully Jazz.